• Réenchanter le monde.

    "Paul Valéry, pressentant la catastrophe où menait le nazisme, constatait dès 1939 une "baisse de la valeur esprit". Aurait-il pu imaginer dans quel état de déchéance généralisée tomberait l'humanité quelques décennies plus tard - là où nous en sommes?" 

    C'est ainsi que commence le livre "Réenchanter le monde" de Bernard Stiegler et Ars Industrialis. que l'ai lu peu après sa parution en 2006 et qui a certainement marqué mon inconscient et mes conceptions, mais j'avais un peu oublié le contenu. Je pense pourtant depuis que j'ai lu le livre de Jacques Attali "Une brève histoire de l'avenir" que le "l'ordre marchand" est dans son cycle final et que nous vivons une période apocalyptique (apocalypse (grec ancien ἀπoκάλυψις (« apokálupsis », signifiant « révélation ») est un genre d'écriture de caractère prophétique qui s'est développé dans la culture juive postexilique et qui sera populaire également chez les premiers chrétiens. Le fond narratif est généralement une vision-révélation divine transmise à un homme qui propose l'annonce l'imminente d'un monde nouveau. L'œuvre la plus connue appartenant à ce genre, et qui lui a donné son nom, est l'Apocalypse, attribuée traditionnellement à saint Jean, et terminant le canon du Nouveau Testament), c'est à dire à un point de bifurcation proche d'une révélation avec une incertitude terrible sur ce que sera l'avenir et le destin de l'humanité. Depuis mai 68 et surtout depuis 1989, année de la fin de l'empire soviétique, l'évolution est de plus en plus rapide et exponentielle avec une accélération nouvelle en fin 2000, puis 2008 et les crashs financiers et finalement, 2016 avec un basculement nouveau et le nouveau terrorisme depuis 2015. 

    Dans les articles de mon blog, j'ai donné "ma lecture" du livre de Jacques Attali ("une brève histoire de l'avenir publiés en 2011"). L'aspect apocalyptique ma paru clair dès que Jacques Attali parle de "la fin de l'empire américain" dans l'article 2) une brève histoire de l'avenir: La fin de l’Empire Américain et surtout  dans l'article 4 où apparaît l'hyperconflit parmi les possibilités que détecte Attali dans notre avenir. (voir "Une brève histoire de l'avenir 4) Deuxième vague de l'avenir: l'hyperconflit"), ce que le site scriptoblog.com résume en écrivant: le XXI° siècle sera divisé en trois phases : 

    "-l’hyperempire, qui débutera vers 2030, et qui verra le monde passer d’un système unipolaire américanomorphe à un système multipolaire, régi en pratique par le capital mondialisé,

    - l’hyperconflit, qui débutera peu après l’avènement de l’hyperempire et le submergera progressivement – un temps de chaos anarchique et ultraviolent à l’échelle du globe,

    - l’hyperdémocratie, qui succèdera à l’hyperconflit et se construira en réaction à ses excès – une sorte d’âge du Verseau, pacifique et « transhumain".

    Le livre de Jacques Attali est paru en 2006 et ses prévisions doivent être réactualisées car les événements évoluent à une rapidité exponentielle, mais elles donnent une idée assez correcte de la situation actuelle et on peut se demander si 2016 n'est pas un point de passage ou point de bifurcation où un monde nouveau est réellement apparu ou sur le point d'apparaître comme le dit le livre de Nathalie Kosciusko Morizet "Nous avons changé le monde". C'est pour cela que je relis, en essayant de partager "ma lecture", le livre "réenchanter le monde" qui lui aussi est "prophétique" pour ce qui concerne l'évolution du capitalisme "que l'on dit tantôt "culturel", tantôt "cognitif", mais qui est avant tout  jusqu'à présent l'organisation ravageuse d'un populisme industriel tirant parti de toutes les évolutions technologiques pour faire du siège de l'esprit un simple organe réflexe: un cerveau rabattu au rang de d'ensemble de neurones, un cerveau sans conscience". 


    J''ai déjà évoqué ce que Jaques attali a appelé l'économie relationnelle dans l'article de mon blog "Une brève histoire de l'avenir -complément 1) l'hyperdémocratie: l'économie"relationnelle  avec l'article de Jacques Marceau, président d’Aromates, enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence:

    "Société post-moderne, société post-industrielle, société de l’information, société de l’Internet, économie de l’immatériel,… les qualificatifs ne manquent pas pour nous rappeler que nous sommes définitivement entrés dans une ère économique et sociale nouvelle, qu’aucun futurologue, même parmi les plus éclairés, n’avait imaginé. Nous voici donc immergés dans un monde où la circulation des hommes, des marchandises, de l’énergie et de l’information est organisée en flux et structurée en réseaux interopérables de dimension mondiale."

    Après ce préambule, voyons maintenant "ma lecture" du livre de "Réenchanter le monde" en commençant par .ce que Bernard Stiegler appelle la télévision pulsionnelle et l'économie libidinale.

     

    liens pour ce chapitre: 

    Les articles de mon blog (catégorie une brève histoire de l'avenir):

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/02/une-breve-histoire-de-lavenir.html#.VunUytLhDDf (une brève histoire de l'avenir -complément 1) l'hyperdémocratie: l'économie

    relationnelle)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/02/une-breve-histoire-de-lavenir-6-et-la.html#.VupS7NLhDDd (Et la france?)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/01/une-breve-histoire-de-lavenir-5.html#.VupSl9LhDDd (Une brève histoire de l'avenir 5) Troisième vague de l'avenir: l'hyperdémocratie)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/01/matiere-anti-matiere.html#.VunOytLhDDd (Une brève histoire de l'avenir 4) Deuxième vague de l'avenir: l'hyperconflit.

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/01/une-breve-histoire-de-lavenir-3.html (Une brève histoire de l'avenir 3) Première vague de l'avenir: l'hyperempire)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/01/une-breve-histoire-de-lavenir-2-la-fin.html#.VupKZNLhDDc (Une brève histoire de l'avenir 2) La fin de l'Empire Américain)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2011/01/une-breve-histoire-de-lavenir-1-une.html#.VunXxNLhDDc (Une brève histoire de l'avenir 1) une très longue histoire - une brève histoire du capitalisme)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2010/09/quel-avenir-pour-lhumanite.html#.VunXUNLhDDc (Une brève histoirs de l'avenir 1) Une très longue histoire, jusqu'à la "9ème forme")

    Attali:

    Attali    Jacques Attali    Jacques Attali (le blog)  Attali: une brève histoire de l'avenir (le livre)  

    http://www.slate.fr/source/jacques-attali (Jacques Attali, un des fondateurs de slate)

    cnam.fr/servlet/com (FICHE DE LECTURE Une brève histoire de l’avenir Auteur : J. ATTALI Jaques Attali -fondateur de slate L'ordre marchand par Benard Guibert Pour dépasser l'ordre marchand Jacques Attali: les trois mondes (books.google.fr))

    http://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_1978_num_4_1_1899 (Notes de lecture à propos de "la nouvelle économie française" de Jacques Attali)

    http://www.attali.com/livres/essais/pour-une-economie-positive-groupe-de-reflexion-preside-par-jacques-attali (Pour une économie positive-Groupe de réflexion présidé par Jacques Attali)

    L'ordre marchand par Bernard Guibert

    https://play.google.com/store/books/details?id=qUtVKlk3H_sC&rdid=book-qUtVKlk3H_sC&rdot=1&source=gbs_atb&pcampaignid=books_booksearch_atb (Jacques Jacques Attali: les trois mondes)

    http://www.businessbourse.com/2015/12/22/les-10-predictions-apocalyptiques-et-economiques-de-jacques-attali-pour-lannee-2016/ (Les 10 prédictions apocalyptiques et économiques de Jacques Attali pour l’année 2016)

    http://www.20minutes.fr/argument/121872-jacques-attali-raconte-soixante-prochaines-annees-breve-histoire-avenir-fayard-emergence-hyperempire-construit-autour-ordre-marchand-deshumanise-lequel-debouche-hyperconflit-issu-incapacite-pays  (émergence d'un « hyperempire » construit autour d'un ordre marchand déshumanisé, lequel débouche sur un « hyperconflit »)

    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Attali-attend-sa-guerre-34918.html (Attali attend sa guerre

    L’hyperprophète de malheur avertit ses frères humains)

    http://www.scriptoblog.com/index.php/notes-de-lecture/politique/130-une-breve-histoire-de-lavenir-jacques-attali (Une brève histoire de l'avenir: 1e XXI° siècle sera divisé en trois phases :- l’hyperempire, qui débutera vers 2030, et qui verra le monde passer d’un système unipolaire américanomorphe à un système multipolaire, régi en pratique par le capital mondialisé,- l’hyperconflit, qui débutera peu après l’avènement de l’hyperempire et le submergera progressivement – un temps de chaos anarchique et ultraviolent à l’échelle du globe,- l’hyperdémocratie, qui succèdera à l’hyperconflit et se construira en réaction à ses excès – une sorte d’âge du Verseau, pacifique et « transhumain »)

     

    Apocalypse: Apocalypse

    http://stopmensonges.com/2016-attention-une-apocalypse-peut-en-cacher-une-autre-les-secrets-des-attentats-de-paris-du-13-novembre-2015/ (2016 – Attention une Apocalypse peut en cacher une autre – Les secrets des Attentats de Paris du 13 Novembre 2015)

    http://www.dhnet.be/buzz/divers/apocalypse-soon-le-calendrier-pessimiste-des-catastrophes-pour-2016-567194863570ed38949c8f4f (Apocalypse soon: le calendrier pessimiste des catastrophes pour 2016)

    http://www.maxisciences.com/fin-du-monde/l-039-horloge-de-l-039-apocalypse-fixee-a-trois-minutes-avant-la-fin-du-monde-pour-2016_art37090.html (L'horloge de l'Apocalypse fixée à trois minutes avant la fin du monde pour 2016)

     

    2) La marchandisation du cerveau "dépouillé de sa conscience":

     

    reenchanterlemonde.com/les-publications-de-luc-bige


    Ainsi qu'on peut le lire dans le site lelitteraire.com  "Dès les pre­mières lignes, le ton est donné… Si l’innovation se met au ser­vice des “objets com­mu­ni­cants”, qu’en est-il réel­le­ment du rôle et de la place de l’esprit, de la réflexion, dans l’organisation contem­po­raine, le capi­ta­lisme indus­triel, le modèle cultu­rel de la société de consom­ma­tion actuelle, qui fait la part belle aux tech­no­lo­gies de la communication ?" Comme il est dit en exergue, Paul Valéry "  (pressentant la catastrophe où menait le nazisme et qui constatait dès 1939 une "baisse de la valeur esprit )"  aurait-il pu imaginer dans quel état de déchéance généralisée tomberait l'humanité quelques décennies plus tard - là où nous en sommes?. Bernard Stiegler lui-même se pose la question: "même en 1993, lorsque Jacques Derrida et moi-même nous entretenions de l'avenir possible de la télévision, nous n'avions pas pu imaginer une seconde ce qui devait conduire, peu d'années après cet entretien, à ce qui se présente désormais comme ce qu'il faut appeler la télévision pulsionnelle (celle où la téléréalité se constitue comme l'ob-scène de la "pulsion scopique" qui est à l'origine de des diverses formes de voyeurisme et d'exhibitionnisme  que la plupart des programmeurs des chaines de télévision, sans la moindre vergogne, sollicitent désormais systématiquement." 

    En 1939, nous dit Bernard Stiegler, seulement 45% des Français écoutent la radio, et la télévision n'existe pas encore. Déjà, en ce début de XXe siècle, les objets communicants poursuivent les temps de cerveaux disponibles où qu'ils aillent, du lever au coucher. Un capitalisme s'est imposé, que l'on dit tantôt "culturel", tantôt "cognitif", mais qui est avant tout jusqu'à présent l'organisation ravageuse d'un populisme industriel tirant parti de toutes les évolutions technologiques pour faire de la conscience, c'est à dire du siège de l'esprit,  un simple organe réflexe: un cerveau rabattu au rang d'ensemble de neurones (tel ceux qui contrôlent le comportement des limaces). Un tel  cerveau dépouillé de conscience peut devenir une simple valeur marchande (qui ne cesse en fait de baisser et qui vaut de moins en moins cher et qui ne vaudra bientôt plus rien) sur le marché des audiences. 


    Dans le prochain chapitre, nous allons d'abord essayer de définir ce qu'est la conscience (dur dur le problème!) avant d'en étudier la marchandisation dans l'économie de l'organisation de la production du désir.


    Liens pour ce chapitre: 

    Réenchanter le monde par luc bige La valeur esprit contre le populisme industriel.

     

    http://arsindustrialis.org/economie-libidinale (l'économie libidinale)

    http://arsindustrialis.org/les-pages-de-bernard-stiegler (les pages de Bernart Spiegler)

    http://arsindustrialis.org/ (l'association ars industrialis)

    http://www4.fnac.com/Bernard-Stiegler/ia123095 (Bernard Stiegler: la biographie et tous les livres)

    http://reseaux.blog.lemonde.fr/2013/10/03/reinventer-rapport-temps-bernard-stiegler/ (bernart stiegler: réinventer le rapport au temps)

    http://www.protestants.org/index.php?id=33154 (Refonder le progrès suppose un nouveau partage des savoirs)

    http://www.amazon.fr/R%C3%A9enchanter-monde-valeur-populisme-industriel/dp/2081217848  (Réenchanter le monde : La valeur esprit contre le populisme industriel)

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Ars_industrialis (Ars industrialis (« Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit ») est une association culturelle et philosophique française créée le 18 juin 2005 à l’initiative du philosophe Bernard Stiegler)

    http://www.strategies.fr/etudes-tendances/dossiers/151692/151054W/bernard-stiegler-je-ne-suis-pas-sur-facebook.html (bernard stiegler: je ne suis pas sur facebook)

    http://www.withoutmodel.com/bernard-stiegler/nous-sommes-au-bout-du-modele-fordiste-il-faut-passer-a-un-modele-contributif/ (Nous sommes au bout du modèle fordiste, il faut passer à un modèle contributif)

    http://arsindustrialis.org/le-discours-de-grenoble-point-de-non-retour-du-sarkozysme (Le discours de Grenoble, point de non-retour du sarkozysme)

    http://reenchanterlemonde.com /(Réenchanter le monde -Réintégrer la quintessence des mondes du mystère, du mythe, du symbole et de la raison)

    http://reenchanterlemonde.com/les-publications-de-luc-bige/ (Les publications de luc bige)

    http://aromates.net/analyses-2/ (Actus, Publications et Colloques de l'agence Aromates Relations Publiques)

    http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/07/12/cercle_36314.htm  Article de Jacques Marceau, extrait  du blog des aromates (Actus, Publications et Colloques de l'agence Aromates Relations Publiques) permet d'illustrer ce que J. Attali nomme l'économie relationnelle.

    http://www.franceculture.fr/oeuvre-le-capitalisme-cognitif-la-nouvelle-grande-transformation-de-yann-moulier-boutang.html (Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation

    https://blogrecherche.wp.mines-telecom.fr/2013/04/24/parution-de-la-metamorphose-numerique-vers-une-societe-de-la-connaissance-et-de-la-cooperation/ (La métamorphose numérique -vers une société de la connaissance et de la coopération)

    http://www.lenouveleconomiste.fr/bernard-stiegler-a-voix-haute-1630/ (“Nous ne sommes plus dans une économie du désir mais de la dépendance” Pulsionnelle, standardisée, addictive")

    http://lacanian.memory.online.fr/AQuinet_Troureg.htm (Le savoiur du regard et le trou du regard)

    http://fortune.fdesouche.com/tag/populisme-industriel (Bernard Stiegler: populisme industriel, Télécratie et captation du désir) 

    http://www.agoravox.tv/actualites/societe/article/une-societe-de-la-betise-34385 (Une société de la bêtise systémique. Bernard Stiegler, capitalisme pulsionnel, consumérisme, temps de cerveau disponible...)


    Penseurs: Bernard Stiegler     Marc Crépon  Georges Collins   Catherine Perrret     Caroline Stiegler

    Laurence parisot  Simon Nora

    Jacques Marceau (Président Directeur Général d'Aromates)

    Jaques Derrida   

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Derrida (Jacques Derrida)

    http://www.derrida.ws/ (Derrida le site)

    Jean-François Lyotard    La Condition postmoderne par Jean-François Lyotard

    Giulio Tononi (neurosciences-conscience)

    christof koch (neurosciences -conscience)     alleninstitute.org: Christof Koch

     

    3) La conscience

     

    La Physique de la Conscience un pont entre la science et la spiritualité

     

    Avant de voir comment Bernard Spiegler définit la conscience dans le chapitre 4), nous commencerons par l'examiner de façon générale avec les réflexions inspirées des articles de mon blog (13-1 Dur dur le problème première partie13-2 Dur dur le problème deuxième partie14-1 L'homme non-neuronal première partie14-2) L'homme non-neuronal deuxième partie) qui sont le résultat de ma lecture du livre de Jean Staune "L'existence a t-elle un sens?"

     

    3-1) Le problème de la conscience. (l'article 13-1): Dur, dur le problème (la conscience 1ère partie)

    D'où provient la conscience, c'est à dire le fait d'éprouver quelque chose? C'est ce que le philosophe David Chalmer a appelé le "hard problem" (le dur problème).

    A l'heure actuelle, quasiment tous les spécialistes s'accordent pour dire que dans le cerveau il n'y a aucun "lieu de la conscience", endroit unique où seraient projetées les sensations et où un "soi" en prendrait conscience (Il existe deux grandes catégories de chercheurs ou philosophes qui travaillent sur la conscience: les "identitaires" et les "émergentistes").

    Les identitaires: "rien d'autre que les neurones".

    Pour eux, le mental est identique au cérébral. Douglas Hofstadter et Daniel Dennett peuvent dire, dans "vues de l'esprit" que "l'esprit humain est un objet physique". Les identitaires pensent que seules les connections neuronales sont responsables des états mentaux produit par la perception des sens ou de la pensée. La théorie identitaire se base uniquement sur les phénomènes physiques, ce qui élimine en grande partie le problème de l’origine de la conscience. Pour eux, le "problème difficile" de David Chalmer est un faux problème, il n'y a rien à expliquer, juste des processus physiques.

    Parmi les identitaires, il y a les "forts" et les "faibles, comme il y a les darwiniens "forts" et "faibles." Les identitaires forts, sont appelés parfois "éliminationnistes" car ils éliminent totalement le problème de la conscience. Pour les identitaires faibles parfois appelés "fonctionnalistes", les rapports entre les états neuronaux et les états mentaux peuvent être moins stricts.  

    Les émergentistes: le tout est plus que la somme des parties. 

    Pour les émergentistes, "les sensations conscientes subjectives ne peuvent pas être réduites à des états physiques, même si elles sont produites par eux. Ils proposent alors la théorie de l’émergence, qui se résume par : le tout est plus que la somme des parties.

    Par exemple, l’eau a de nombreuses propriétés que l’on ne peut deviner si l’on ne connaît que les atomes d’oxygène et les molécules d’hydrogène. L’eau n’est rien d’autre que H2O mais c’est un tout. La molécule d’eau est bien plus qu’une simple association d’atomes puisqu’elle manifeste des propriétés qui ont «émergé» et qui n’existaient pas dans ses seuls composants.

    Les émergentistes pensent qu’il en est de même pour la conscience et des sensations subjectives qui l’accompagnent : les neurones seuls ne sont que peu de choses, mais associés, ils auraient la faculté de produire la conscience."

    Comme pour le identitaires faibles, il y a les émergentistes faibles qui pensent qu'il en est ainsi de la conscience et de toutes nos sensations subjectives. Pour les émergentistes "forts", l'émergence peut produire des niveaux ontologiquement distincts des niveaux de départ. Ils contiendront des forces ou des entités capables d'exercer une influence causale sur les niveaux inférieurs qui les ont créés (causalité descendante), ce que nient les émergentistes faibles.

    Les positions de quelques personnalités. 

    Francis Crick, prix Nobel de médecine pour la découverte de la structure hélicoïdale de l'ADN appelle ceci "l'hypothèse stupéfiante (voir 2)": "nous ne sommes rien d'autre que qu'un paquet de neurones."Gérald Edelman, prix Nobel de médecine, eut l'idée de la "théorie de la sélection des groupes neuronaux." La structure du cerveau n'est pas totalement déterminée à la naissance. L'approche d'Edelman est un exemple d'émergence faible Roger Sperry, prix Nobel de médecine, représente l'émergence forte. Il se dit mentaliste tout en rejetant le dualisme: "Il me paraît indispensable de contester avec la dernière rigueur la conception matérialiste et réductionniste de la nature et de l'esprit humain, conception issue semble-t-il de l'attitude objective et analytique aujourd'hui prédominante dans les sciences du cerveau et du comportement 
    Le philosophe Philip Clayton a développé des conceptions à l'image de celles de Sperry, et qui aboutissent à une théorie de l'émergence forte.
    Pour Antonio Damasio, les émotions sont essentielles. Dans "l'erreur de Descartes", il écrit que "la passion fonde la raison".
    Jean-Pierre Changeux représente le courant "identitaire fort": "l'identité entre les états mentaux et les états physico-chimiques du cerveau s'impose en toute légitimité".
    Voyons maintenant la position de quelques philosophes?

    Pour Danniel Dennett, dans son oeuvre la conscience expliquée, on constate qu'il élimine tout simplement la conscience plutôt que de l'expliquer comme le montre son dernier sous-titre "la conscience expliquée ou éliminée?". Pour lui, notre conscience est peut-être assimilable à un programme d'ordinateur et nos sentiments réductibles à de tels programmes, mais ça n'est pas résoudre le problème de la conscience que de nier son existence.

    C'est David Chalmers qui a posé le problème de la conscience sous forme de "dur problème". La position de Chalmer est un mélange de fonctionnalisme (en fait une position identitaire) et de dualismeSi on prend l'exemple de la douleur, il y a deux significations: une signification physique telle celle de Dennett et une signification qui dépend de la conscience. Il y aurait un accord ou un parallélisme entre l'organisation fonctionnelle du cerveau et la conscience. La conscience existe, elle accompagne le fonctionnement de notre corps mais ne sert à rien pour expliquer notre comportement. Pour Chalmers, elle serait présente partout dans l'Univers où de l'information est présente. Cela l'amène à se demander: "Quel effet cela fait-il d'être un thermostat?". On peut dire que c'est une vision panspshychique du monde.

    Pour Jonh Searle: La thèse de Chalmers est "le symptôme" d'un certain désespoir qui se manifeste aujourd'hui dans les sciences cognitives." Searle est un "émergentiste faible". En philosophie de l'esprit, Searle se distingue par son naturalisme biologique. L'esprit naîtrait d'une complexification croissante du corps et plus particulièrement du système neuronal. Searle s'oppose ainsi aussi bien aux conceptions dualistes et à l'héritage cartésien qu'aux conceptions réductionnistes des relations entre l'esprit et le corps. Pour lui, les états mentaux qui caractérisent notre vie subjective sont aussi réels que les autres phénomènes biologiques, Mais ils ne sont pas réductibles aux processus neurobiologiques. Searle rejette aussi le matérialisme au sens classique du terme. Mais comment expliquer l'émergence de la conscience? Searle écrit: "Il nous faut franchement avouer notre ignorance. Ni moi, ni qui que ce soit d'autre ne sait à ce jour à quoi ressemblerait une telle théorie. [ ...]. Nous ne disposons pas jusqu'ici de principe théorique unificateur des neurosciences [...] nous n'avons pas une théorie du fonctionnement du cerveau. "

    Ce tour d'horizon que nous venons de faire montre que pour les neurosciences il n'y a pas de théorie hégémonique pour l'étude de la conscience (comme le darwinisme pour la théorie de l'évolution) mais des hypothèses ne reposant sur aucun mécanisme précis et indubitable. Cela n'a pas empêché  John Searle de répéter que "le cerveau cause la conscience." Il exprime ici l'opinion que partagent malgré leur différences Dennett, Crick, Edelman et beaucoup d'autres et même Sperry.

    Et s'ils se trompaient tous? Voir maintenant mon article 13-2) Dur, dur le problème (la conscience 2ème partie):

    3-2) Le cerveau est-il un IPOD ou une radio?

    Nous allons commencer par recourir à une métaphore pour avancer sur cette question, qu'est-ce que la conscience? Imaginons des extraterrestres étudiant des objets que nous possédons. En examinant un CD et son lecteur, ils peuvent apprendre rapidement que des sons y sont codés sous forme numérique et que le lecteur effectue un décodage permettant de restituer les sons. L'analyse d'un IPOD les mènera à la même conclusion. Par contre, la radio plongera certainement ces extraterrestres dans la perplexité. En effet, d'où arrivent les sons et comment sont-ils lus? En effet, d'où arrivent les sons et comment sont-ils lus? Ils resteront certainement persuadés que le principe général de la radio n'est pas différent de celui de l'IPOD ou du lecteur de CD:il émet des sons qui sont stockée en son sein. s'ils emportaient ces trois objets dans l'espace, en constatant que la radio ne fonctionne plus alors que l'IPOD et le lecteur de CD fonctionnent encore, ils en déduiraient que cela est dû à la sensibilité de la radio, ou au champ magnétique de leur vaisseau ou... toute autre explication. Sans doute traiteraient-t-ils de magique, de préscientifique, ou de mystique toute théorie envisageant que les sons ne soient pas stockés dans la radio, mais émis par une source mystérieuse. Vis à vis du cerveau, ne sommes-nous pas dans la situation de ces extra-terrestres? La conscience est modifiée lorsque certaines zones du cerveau le sont, mais cela ne prouve pas que le cerveau produise la conscience de même que le fait que la musique se modifie quand on modifie les composants de la radio ne prouve que la radio produise la musique. 

    Peu de neurologues n'hésitent pas à franchir le pas et à considérer le cerveau non comme la cause ultime de la conscience, mais seulement comme une de ses conditions. Parmi eux, le neurologue Sir Jonh Eccles et le philosophe Karl Popper. Dans "The self and its brain" ils développent un modèle où trois mondes sont en interaction:    

         - le monde 1: c'est le monde des objets physiques (le monde matériel);

         - le monde 2: c'est le monde de l'esprit humain (les états de conscience)

         - le monde 3: c'est le monde des produits de l'esprit humain (notamment les théories scientifiques et l'art mais aussi les idéologies politiques). Mais cette conception dualiste est confrontée à la question: comment l'esprit s'il existe peut-il influencer le cerveau sans violer les lois physiques et en particulier celle de la conservation de l'énergie. Eccles a trouvé le solution grâce à Frédérick Beck. Il a montré, en réalisant un traitement quantique de l'exocytose, que la probabilité que celle-ci se produise pouvait être augmentée ou diminuée sans que cela constitue une violation des lois de conservation de l'énergie, car les masses mises en jeu sont suffisamment petites pour rentrer dans les incertitudes existant sur le plan quantique. Ainsi, depuis 1992, le dualisme (corps-esprit) est redevenu, sur le plan scientifique, une possibilité. Pour Eccles, «l'esprit serait comme un scanner  qui lit l'état d'activation des neurones et qui influence cette activation d'une façon analogue à un champ de probabilité quantique (champ qui n'a ni masse ni énergie, mais qui exerce pourtant une influence causale en modifiant la probabilité que certaines événements se produisent).» Ainsi «le cerveau serait une machine qu'un fantôme peut faire marcher.» Eccles? a proposé que "intention et l'attention constituent des événements ou phénomènes conscients non matériels, et qu’ils exercent une influence activatrice sur le cerveau. Libet a montré en 1990 que l’intention efficace d’accomplir le mouvement survient environ 200 millisecondes avant le début du mouvement. L’événement mental d’intention peut donc être considéré comme précédant les événements neuraux qui produisent en particulier dans l’aire motrice supplémentaire. Eccles écrit: "Il a été amplement démontré par la science que la conscience, l'idéation pure, active effectivement certaines régions déterminées du cortex cérébral. La maîtrise mentale de l'activité cérébrale est si vaste que l'on peut présumer une totale domination du cerveau par la conscience. Et voilà que pour la première fois se trouve formulée une hypothèse sur la manière dont le mental influence l'activité cérébrale sans enfreindre les lois de conservation de l'énergie. La critique matérialiste du dualisme par DennettchangeuxEdelman perd tout son fondement scientifique [...]. Puisque les solutions matérialistes ne parviennent pas à expliquer l'unité dont nous avons conscience, j'en suis réduit à conclure que l'unicité de la conscience ou de l'âme provient d'un autre niveau de réalité [...] rendue nécessaire par la certitude de l'existence d'un noyau de cette individualité. J'avance qu'aucune autre position n'est défendable.."

    La solution de Dominique Laplane

    Selon Laplane, il aurait dans l'Univers, de la matière et de l'énergie d'un côté, et de  l'autre, de la pensée et de la conscience. Le couple matière-énergie peut se transformer en pensée et réciproquement, de la même manière que la matière se transforme en énergie (équivalence E=mc2)Comme Eccles, Laplane pense qu'il n'est pas scientifique d'affirmer que notre conscience soit un mécanisme créé par les lois physiques que nous connaissons, alors que l'unité de perception pourrait être obtenue par par des mécanismes de type "physicaliste". Pour lui, il existe une conscience universelle que le cerveau utilise pour pour bâtir une conscience individuelle.

    Pour le psychophysiologiste Jean-François Lambert, le cerveau est la condition de l'existence de la conscience et non pas sa cause. Il utilise des métaphores telles que:  "Si [...] vous découvrez que votre frigidaire est en panne et que les fusibles ont sauté, vous n'allez pas dire, après les avoir changés,  "les fusibles sont la cause du froid.".

    Pour Mario de Beauregardun spécialiste en neurobiologie, lcerveau ne produit pas l'esprit mais que l'esprit influence le cerveau. Il a proposé l'hypothèse de la traduction "psychoneurale" (HTP), selon laquelle le monde psychologique (la perspective à la première personne, le "je"), et le cerveau (la perspective à la troisième personne qui elle, fait partie du monde) représentent deux domaines distincts sur les plans ontologique et épistémologique. Il est aussi, avec le neuropsychiatre Jeffrey Schwartz et le physicien Henri Stapp, le coauteur d'un article sur les liens existant entre la physique quantique et les neurosciences qui affirme que l'espoir des matérialistes d'expliquer par l'une des différentes hypothèses que nous avons mentionnées dans l'article 13-1), la connexion entre nos sentiments et nos émotions et l'activité cérébrale est condamné d'avance par la physique quantique:.

    3-3) Et si nous n'étions pas qu'un paquet de neurones? voir l'article 14-1) L'homme non-neuronal première partie

    "Seul l'esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'homme" crie Antoine de Saint Exupéry, dernière phrase de Terre des hommes.

    C'est une expérience réalisée  par jean-François Lambert sous la direction de Paul Laget à l'hôpital Trousseau qui pose la question: Les moines tibétains sont-ils des morts-vivants? Sur le tracé d'un électro-encéphalogramme (EEG) d'un moine tibétain qui a passé sa vie à méditer à qui on demande de méditer, on s'aperçoit que dans le tracé, au lieu d'un pic bien net, on distingue bien un petit quelque chose mais qui n'est pas significatif, car noyé dans le bruit de fond de l'EEG (bien entendu, on vérifie que le moine n'a pas fermé les yeux). En regardant ce tracé, on pourrait en déduire que la personne en question n'est pas consciente et qu'elle ne réagit pas aux simulations qui l'entourent. Alors que, selon son témoignage, le moine était parfaitement conscient à ce moment-là, peut-être expérimentait-il un état de "pure conscience"? Cela signifie selon que nous avons la première preuve qu'il n'y a pas une identité complète entre les processus neuronaux et les états mentaux ainsi que l'affirme libet.

    Benjamin Libet a effectué de nombreuses expériences mettant en lumière les indices cérébraux de la conscience. Sa conclusion est que la relation entre l’expérience subjective, éprouvée par le patient, et l’activité neuronale n’est pas déductible à priori de l’observation physique. Nous en retiendrons que certes, tout ceci ne prouve pas l’existence de l’âme mais les expériences de Libet constituent la pierre angulaire d’une nouvelle vision de la conscience en cours d’élaboration. Ce concept de l’existence d’une dimension irréductible à la matière se retrouve dans deux autres domaines scientifiques : la physique quantique et l’évolution de la vie. 

    Ainsi, les expériences de Libet posent de "sérieuses difficultés" à la thèse selon laquelle il y aurait identité entre les états mentaux et les états neuronaux, car l'état neuronal ne peut pas permettre de connaître l'état mental puisque le temps vécu par le sujet et le temps neuronal ne sont pas les mêmes. Mais Libet n'est pas un dualiste pour autant. Sa position est celle d'un émergentiste fort comme Sperry,  auquel il se rattache (voir mon article Dur, dur le problème (la conscience 1ère partie). Pour lui, "la conscience ne peut exister sans les processus du cerveau qui lui donnent naissance." Mais c'est un émergentiste, "superfort". Dans la théorie de Libet, la conscience est un champ qui ne correspond à "aucun des champs physiques connus, comme l'électromagnétisme, la gravitation, etc. Il n'est pas descriptible en termes d'aucun événement physique observable ou d'aucune théorie physique constituée."  "Ce champ serait détectable seulement en terme d'expérience subjective, accessible seulement à l'individu qui a cette expérience. Pour Libet, le saut dans le temps évoqué par Libet ne se produit pas dans le monde physique, mais dans le monde subjectif, celui du champ de conscience. Mais est-ce si sûr que le saut dans le temps ne se produit pas dans le monde physique? La seule conclusion logique (de Jean Staune, que je partage) est: s'il est bien confirmé qu'il faut bien 500 ms à la conscience pour être consciente de quelque chose, est qu'un retour en arrière dans le temps permet de synchroniser nos sensations avec les événements, ce saut dans le temps est bien réel, la conscience peut l'accomplir facilement parce qu'elle n'est pas (totalement) immergée dans le monde physique et donc, elle n'est pas une production du cerveau  et donc, le cerveau est davantage un poste de radio qu'un lecteur de disque en faisant référence à notre image "Le cerveau est-il un IPOD ou une radio?" dans  l'article 13-2.

    3-4) A propos du libre-arbitre:  c'est une grande question philosophique dont la science moderne avait semblé sonner le glas avec l'élimination de l'âme ou de toute entité transcendante  (voir mon article 14-2) L'homme non-neuronal deuxième partie). Quelle conclusion raisonnable tirer des expériences de Libet? (le libre arbitre existe-t-il?)? Chez les scientifiques et les philosophes il n'y a aucun consensus quant à leur interprétation. Pour Dennett, ces expériences sont correctes, mais elles ne sont pas incompatibles avec le libre-arbitre. Mais si le libre-arbitre était vraiment réfuté, les conséquences pour la société pourraient être terribles.

    Une position intermédiaire raisonnable c’est d’admettre que ces expériences montrent au moins que nos intentions ne sont pas systématiquement à l’origine de nos actions. Les processus inconscients jouent peut être un plus grand rôle que nous ne pouvions le penser, et la conscience d’une décision est un phénomène qui se construit au cours du processus de décision, pas à son origine. Libet a précisé, lors d'une discussion avec Jean Staune: "mon expérience est plus en faveur de l'éthique juive que de l'éthique chrétienne." Il a rajouté: "Parce que pour les chrétiens, on a péché dès que que l'on a eu une mauvaise pensée. Mon expérience montre que c'est trop demander à l'homme que de contrôler des choses qu'il ne peut contrôler. Mais en revanche, on est responsable de ses acte. Et pour l'éthique juive, on est coupable non pas à cause des pensées que l'on peut avoir, mais seulement si l'on a mal agi."

    3-5) L'homme, un animal porteur de sens.

    Qu'est-ce qui différencie l'homme de l'animal? Le langage, l'utilisation des outils, l'altruisme? on retrouve ces caractéristiques chez les animaux, y compris le langage pour lequel certains chimpanzés peuvent manier certains symboles. Une expérience montre qu'il semble que l'homme possède une caractéristique unique: Le besoin impératif que ses actes aient un sens. Cette expérience montre que la question du sens est tellement importante pour l'homme que lorsqu'il ignore le sens d'un de ses actes, il va en inventer un et y croire. Jean-François Lambert dit "C'est seulement quand je verrai des chimpanzés s'assembler pour débattre du sens de leurs actes et réfléchir sur leur "chimpanzéïtude" que j'admettrai que l'homme n'est pas fondamentalement différent des singes."

    Mais ces expériences ont aussi d'autres implications, elles réfutent l'existence de la télépathie selon Sperry et Libet. En effet, si les deux moitiés du cerveau ne peuvent pas communiquer entre elles, comment pourrions-nous communiquer avec un autre cerveau? Le champ de conscience (voir article 14-1 L'homme non-neuronal chapitre 2) de Benjamin Libet, s'il existe, a une portée très limitée. Il est engendré par les hémisphères, mais l'expérience montrerait donc que le champ produit par une hémisphère n'interagit pas avec l'autre. Mais, bien que le résultat puisse laisser penser que l'on affaire à deux "moi" qui fonctionnent indépendamment, aucun des patients au cerveau sectionné n'a rapporté le moindre "trouble du moi." Il s'agit de "moi" uniques ayant conservé toute leur mémoire et leurs habitudes (même si l'hémisphère droit ne peut parler, on pourrait, par le biais de tests de personnalité purement visuels, se rendre compte de l'émergence d'un second "moi"). Comme un "émergentiste ultra-fort" tel que Libet ne semble pas pouvoir expliquer cette unicité de la personne après que le cerveau a été coupé en deux, on trouve ici un argument indirect en faveur du dualisme. 

    3-6) Le grand retour scientifique du dualisme.
    Le dualisme est un terme qui a très mauvaise presse; il est fondamentalement considéré comme antiscientifique et "il doit être évité à tout prix." "Accepter le dualisme c'est renoncer" dit Daniel Dennett dans "la conscience expliquée." Le dualisme est une doctrine posant deux principes irréductibles et indépendants, au contraire d'un monisme, qui n'en pose qu'un. En philosophie, le dualisme (philosophie de l'esprit) se réfère à une vision de la relation matière-esprit fondée sur l'affirmation que les phénomènes mentaux possèdent des caractéristiques qui sortent du champ de la physiqueCes idées apparaissent pour la première fois dans la philosophie occidentale avec les écrits de Platon et Aristote, qui affirment, pour différentes raisons, que l'« intelligence » de l'homme (une faculté de l'esprit ou de l’âme) ne peut pas être assimilée ni expliquée par son corps matériel. La version la plus connue du dualisme a été formalisée en 1641 par René Descartes qui a soutenu que l'esprit était une substance immatérielle. Descartes fut le premier à assimiler clairement l'esprit à la conscience, et à le distinguer du cerveau, qui est selon lui le support de l’intelligence. Ainsi, il a été le premier à formuler le problème corps/esprit de la façon dont il est présenté aujourd’hui. Après l'éclipse qu'on connaît et le rejet hors du champ de la science du dualisme, la physique quantique nous met face à des choses plutôt troublantes. Nous avons vu qu'il existe des phénomènes tels que la non-localité qui ont une influence causale sur notre monde sans être constitués de matière ni d'énergie. La physique quantique nous a aussi amenés a voir que ce qui existe ne se limite pas à des choses incluses dans le temps et l'espace et constituées de matière et d'énergie. Cela ne permet-t-il pas d'envisager l'existence possible d'un esprit non localisé dans le temps et l'espace et non constitué de matière et d'énergie? 
    Cela ne permet-t-il pas d'envisager l'existence possible d'un esprit non localisé dans le temps et l'espace et non constitué de matière et d'énergie? Depuis l'article de Becke et Eccles en 1992 (rêve de Descartes(?)), le principal obstacle théorique au dualisme a disparu. 
    Ainsi, le dualisme semble maintenant la solution la plus logique aux extraordinaires expériences de Libet (voir chapitre 3-4) montrant que la conscience peut remonter le temps, et qu'elle n'est donc n'est pas totalement située dans le temps. Libet n'est pas dualiste, mais il précise, dans "Mind time" que rien n'interdit l'existence d'un dualisme de type cartésien. Il faut rappeler que de nombreux scientifiques célèbres pensent que le cerveau et l'esprit sont deux choses identiques, position réfutée par les expériences de Libet tout en expliquant que le dualisme est antiscientifique (bel exemple d'illustration de la parabolede la paille et de la poutre). Mais le dualisme n'est-il pas la meilleure explication du fait que les sujets au cerveau coupé gardent une identité unique? Du fait qu'une instance peut, au moment crucial, arrêter des processus commencés inconsciemment par le cerveau et manifester ainsi l'existence d'un libre-arbitre? Du fait que l'intention de faire quelque chose peut avoir des conséquences physiques sur le cerveau et même sur le système immunitaire? Du fait que des états mentaux peuvent être radicalement différents des états neuronaux associés comme l'a montré l'expérience des moines tibétains?
    Le dualisme pourrait ainsi être une voie de recherche sur la nature de la conscience humaine en regardant les faits scientifiques et uniquement eux. En général, quand on fait appel à des entités non matérielles comme l'esprit ou les archétypes, les matérialistes disent que c'est une façon de scléroser la recherche, puisqu'au lieu de rechercher une cause physique, on postule quelque chose d'invérifiable. Mais ici on peut constater que c'est le contraire!

    Le dualisme semble être l'hypothèse la plus féconde pour expliquer les données provenant des neurosciences, mais le paradigme dominant à l'heure actuelle interdit d'envisager toute réalité non physique, ce qui bloque les recherches potentiellement fructueuses, de même que dans les sciences de l'évolution (dans lesquelles des milliers de chercheurs étudient la drosophile qui n'a pas vraiment évolué depuis 50 millions d'années dans l'espoir de comprendre les mécanismes de l'évolution). Cet interdit a pourtant déjà volé en éclats dans les domaines de la physique , de l'astrophysique et des mathématiques comme nous le verrons dans l'article suivant, article 15): "une voie rationnelle vers le monde de l'esprit", domaines dans lesquels on peut découvrir un ou plusieurs niveaux de réalité hors du temps, de l'espace, de l'énergie et de la matière. Le dualisme évoqué ici diffère de la conception classique de cette notion selon laquelle conscience et matière seraient deux choses totalement séparées. En fait, ce que nous avons vu pour la physique incite à penser que la conception la plus en en accord avec nos connaissances est celle selon laquelle conscience et matière proviendraient d'une substance unique qui serait antérieure à la "scission sujet-objet" (expression de Bernard d'Espagnatque Schrödinger a évoqué dans "l'esprit et la matière". "Il était bien placé pour mesurer tout à la fois la nécessité et le coût exorbitant de l'acte fondateur des savoirs objectifs: le retrait ou, plus précisément, "l' Elision " du sujet connaissant. Tout notre savoir s’édifie sur la scission sujet-objet: penser, parler, observer, expérimenter se fait dans l’ordre de la séparation : je me donne un objet dans un champ défini, je l’observe du dehors". "La conscience est ce par quoi il peut y avoir un sujet qui se présente et un objet représenté. par elle s'opère la scission sujet-objet. Le sujet doué de conscience se pose comme un sujet, un Je, en face d'objets. Il n'est pas dans le monde (parmi les choses), il fait face au monde et tout ce qui constitue ce monde: moi, autrui, les choses et il se met à exister comme objet de représentation". Cette substance unique serait située au-delà de l'espace, du temps et de l'énergie. 

    3-7) Pour conclure cette réflexion sur la conscience, on peut dire que conscience et matière ne sont pas contradictoires.  Elles sont complémentaires au sens de Bohr. Ce dernier, s'est confronté au réalisme d'Einstein mais il avait certainement eu l'intuition de ce dualisme de la connaissance


    4 ) La conscience vue par Bernard Stiegler.

    Pour Bernard Stiegler, "La conscience n'est pas une vapeur qui viendrait s'ajouter au cerveau comme un halo de sainteté, ou comme une aura, pour lui apporter un supplément d'âme tombé on ne sait d'où". C'est donc opposé à ce qui advient à l'âme platonicienne qui tombe littéralement du ciel et emplit le corps (et donc le cerveau qui n'en n'est qu'une partie) de ce que Platon appelle "les idées".

    "La conscience, qui est la partie accessible à la connaissance des projections que fait l'appareil psychique par l'intermédiaire de cet organe qu'est le cerveau, et qui émerge de l'inconscient, lui-même enraciné dans l'ensemble du corps, suppose que l'appareil psychique humain se distribue, se dissémine, se représente et se délègue dans un ensemble de prothèses et d'appareils techniques qui supportent ce que j'ai appelé par ailleurs les rétentions tertiaires et dont font partie ces entités qu'après Platon, et avec Foucault, nous, c'est à dire Ars Industrialis, nous nommons les hypoménata" (voir plus loin la définition par Ars Industrialis). 

    Le cerveau n'est qu'un appareil dans ce circuit d'appareils où l'appareil psychique  se lie du même coup au social, à ses organisations, à ses appareils sociaux, et où les pulsions sont par là-même trans-formées en désir. Autrement dit, penser ce qu'est la conscience, c'est penser le rapport du cerveau aux appareils, mais aussi au corps, c'est à dire à travers cet ensemble, à l'inconscient et dans la mesure où ce circuit est ce qui inscrit le psychique dans la social à travers les techniques, c'est aussi penser comment la vie psychique est immédiatement prise dans un processus de sublimation (de trans-formation) qui fait que le concept de conscience est irréductiblement moral (y compris lorsqu'on décide de la considérer d'un point de vue a-moral) 

    "Les hypomnémata, au sens général, sont les objets engendrés par l’hypomnesis, c’est-à-dire par l’artificialisation et l’extériorisation technique de la mémoire. Les hypomnématas ont les supports artificiels de la mémoire sous toutes leurs formes : de l’os incisé préhistorique au lecteur MP3, en passant par l’écriture de la Bible, l’imprimerie, la photographie, etc.

    Les hypomnémata au sens strict sont des techniques spécifiquement conçues pour permettre la production et la transmission de la mémoire, ce sont des supports extériorisés de mémoire qui permettent d’élargir notre mémoire nerveuse. Toute individuation est indissociable de ces supports de mémoire extériorisés. La télévision, la radio, internet, en tant que mnémo-technologies ; sont de nouvelles formes d’hypomnémata qui appellent de nouvelles pratiques.
    Comprendre l’hypomnèse c’est comprendre que la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux mais entre eux, dans les artefacts."

     

    Comme on l'a vu au chapitre 3, la conscience reste mystérieuse et se dérobe aux explications scientifiques ou autres. Rappelons Lévinas qui, (dans "totalité et infini"), montre selon une méthode phénoménologique, comment la subjectivité naît de l’idée d’infini, et comment l’infini est un produit de la relation de soi à l’autre. Désir, Infini et freudisme: "Il a parfois été dit que Totalité et Infini se fondant sur le Désir ne pouvait avoir été écrit que par un homme. Mais au-delà de ces conjectures concernant le genre, il est intéressant de lire à propos de Désir et Infini une réflexion récente de Bernard Stiegler. Celui-ci écrit dans Aimer, s'aimer, nous aimer (Galilée, Paris, 2003):

    «  Pour pouvoir dire nous, il faut que je fictionne un passé qui n'est pas le mien et qui me permet de fictionner un avenir dont j'espère qu'il sera le nôtre - celui des miens, de mes proches, de mes enfants et, de proche en proche le vôtre4. »

    Il poursuit sa réflexion en parlant de cet avenir comme de quelque chose que je ne verrai jamais mais, dit-il, j'ai besoin de lui qui n'aura pas lieu sur le mode d'une fiction par laquelle je pose que, malgré tout, il sera, en quelque sorte sous la forme d'un avenir absolu: un avenir qui sera toujours à venir, une sorte d' avenir pur. Cette fiction s'appelle par exemple le messie5.

    Il pense avec Freud que le désir est structurellement accordé à l'infini. Et il confronte cette idée au père de la Psychanalyse:

    «  Freud nous dit, certes, à juste titre, que l'énergie libidinale est limitée. Mais pour que cette énergie libidinale limitée puisse fonctionner, il faut que je fantasme que mon énergie est illimitée. Ce n'est qu'une fiction, mais sans cette fiction, il n'y aurait aucun désir. Ce que j'aime, je l'aime sans limite, sans condition: je ne peux l'aimer que de manière (fantasmatiquement), illimitée (…) J'aime à l'infini. Je n'aime qu'à l'infini6… »

    Nous pouvons maintenant suivre Bernard Stiegler, qui, on l'a vu au chapitre 1) a écrit "qu'un capitalisme s'est imposé [...], qui est avant tout jusqu'à présent l'organisation ravageuse d'un populisme industriel tirant parti de toutes les évolutions technologiques pour faire de la conscience, c'est à dire du siège de l'esprit,  un simple organe réflexe: un cerveau rabattu au rang d'ensemble de neurones [...] Un tel  cerveau dépouillé de conscience peut devenir une simple valeur marchande." Je peux en effet partager sa conception de la conscience qui n'est pas qu'un paquet de neurones.

    Liens: https://fr.wikipedia.org/wiki/Totalit%C3%A9_et_infini (Totalité et infini)

    http://la-philosophie.com/totalite-infini-emmanuel-levinas (Totalité et Infini : l’éthique, la philosophie première)

     

    Dans le prochain article, l'économie libidinale et l'organisation de la production du désir, je poursuivrai "ma lecture" du livre "réenchanter le monde".

     

    Liens chapitres Conscience:

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2013/08/notre-existence-t-elle-un-sens-14-2.html#.Vuu-p9LhDDd (L'homme non-neuronal deuxième partie)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2013/08/notre-existence-t-elle-un-sens-14.html (l'homme non-neuronal première partie)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2013/06/notre-existence-t-elle-un-sens-13-2-dur.html (Notre existence a t-elle un sens? 13-2) Dur, dur le problème (la conscience 2ème partie)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2013/06/notre-existence-t-elle-un-sens-13-dur.html#.Vux3etLhDDd (Notre existence a t-elle un sens? 13-1) Dur, dur le problème (la conscience 1ère partie)

     

    http://www.doublecause.net/index.php?page=conscience.htm (Le cerveau, l'esprit, la conscience)

    http://www.doublecause.net/achat_pc.php (La physique de la conscience, un pont entre la science et la spiritualité par philippe Guillement avec jocelin morrisson)

    https://drmariobeauregardfr.com/livres/brain-wars/ (Les pouvoirs de la conscience Comment nos pensées influencent la réalité)

    http://www.neur-one.fr/Neurobiologie%20de%20la%20conscience.pdf (Conscience et neuro-sciences:  PARTIE 2 : NEUROBIOLOGIE DE LA CONSCIENCE

    http://www.wired.com/2013/11/christof-koch-panpsychism-consciousness/ (A Neuroscientist’s Radical Theory of How Networks Become Conscious)

    http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier-special/4-comment-neurones-fabriquent-conscience-01-10-2005-87363 (Comment les neurones fabriquent la conscience

    dossier spécial - par Francis Crick et Christof Koch)

    http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier-special/4-comment-neurones-fabriquent-conscience-01-10-2005-87363 (Comment les neurones fabriquent la conscience

    dossier spécial - par Francis Crick et Christof Koch)

    http://www.lesechos.fr/01/08/2014/LesEchos/21741-034-ECH_la-conscience--simple-affaire-de-neurones--.htm (La conscience est-elle soluble dans les neurosciences ? Chercheurs ou philosophes, les avis divergent)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_cl/d_12_cl_con/d_12_cl_con.html (LES ASSEMBLÉES DE NEURONES ET LA SYNCHRONISATION D'ACTIVITÉ  Comment une idée consciente vient-elle à notre esprit ? Et par quels mécanismes notre conscience passe-t-elle d’une idée à une autre ?)

    http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/a-la-recherche-des-neurones-de-la-120419 (A la recherche des neurones de la conscience de soi)

    https://jeanzin.fr/ecorevo/sciences/conscien.htm (Jean Zin: l'émergence de la conscience)

    http://www.neur-one.fr/ (NEUROSCIENCES le SITE)

    http://www.neur-one.fr/21_rappels_anat.pdf (CONSCIENCE ET NEURO-SCIENCES:Chapitre 1 – RAPPELS D'ANATOMIE)

    http://www.neur-one.fr/Neurobiologie%20de%20la%20conscience.pdf (CONSCIENCE ET NEUROSCIENCES  (en construction) Document très largement inspiré de : qu'est-ce que la conscience?PARTIE 2 : NEUROBIOLOGIE DE LA CONSCIENCE)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_p/d_12_p_con/d_12_p_con.html (Qu'est-ce que la conscience?)

    http://www.sommeil-paradoxal.com/livre3-page/11-cerveau.html (De la matière à la conscience)

    http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2000/oct/G_edelman.html (Automates intelligents: Gerald Edelman, Giulio Tononi)

    http://www.automatesintelligents.com/echanges/2008/dec/conscience.html (La conscience vue par les neuro-sciences)

    http://www.implications-philosophiques.org/recherches/ (Les Neurosciences, une position réductionniste ?)

     

     http://blog.ific-coaching.com/2010/12/04/comment-fonctionne-notre-conscience/ [Intelligence collective] Comment fonctionne notre conscience ?)

    http://www.huffingtonpost.fr/bobby-azarian/neurosciences-la-nouvelle-theorie-de-la-conscience-est-empreinte-de-spiritualite_b_8212678.html (Neurosciences: la nouvelle théorie de la conscience est empreinte de spiritualité)

    atlantico.fr -philip clayton: La question de la liberté (quand les neurosciences invalident justifications traditionnelles)

    le-cercle-psy.scienceshumaines.com -L’esprit au-delà des neurones. explication de la conscience, liberté

    charlesvaugirard.wordpress.com -Les origines de la liberté, l’émergence de l’esprit dans le monde naturel

    benje.free.fr -Et si l'émergence de l'esprit relevait autant de notre nature biologique plutôt que de notre seule culture?

    http://www.jung-neuroscience.com/jung-libet

    http://uip.edu/articles/73 (Esprit es-tu là ? ce qu'en pense Université interdisciplinaire de Paris avec Jean Staune)

    (http://www.jung-neuroscience.com/jung-libet/)

    http://fr.winesino.com/brain-surgery/1007011648.html (Ce qui se produit dans une expérience de Split- Brain)

     

    http://www.neotrouve.com/?p=4496 (Neurosciences : l’expérience de Benjamin Libet ou comment le cerveau déforme la réalité temporelle)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_p/d_12_p_con/d_12_p_con.html (QU'EST-CE QUE LA CONSCIENCE?)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_s/d_12_s_con/d_12_s_con.html FONCTION ET ORIGINE ÉVOLUTIVE DE LA CONSCIENCE - LA QUESTION DU LIBRE-ARBITRE,  la conscience humaine D’où vient la conscience humaine ?)

    https://sciencetonnante.wordpress.com/2012/03/05/le-libre-arbitre-existe-t-il/ (Le libre-arbitre existe t-il?)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/experience_bleu06.htm (Expérience split brain (capsule expérience))

    http://lecerveau.mcgill.ca/intermediaire.php (Le blog du cerveau à tous niveaux)

    http://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_12/a_12_cr/a_12_cr_con/a_12_cr_con.html (VERS UNE CARTOGRAPHIE CÉRÉBRALE DES ÉTATS DE CONSCIENCE?)

    http://www.blog-lecerveau.org/blog/2013/04/08/qui-est-en-charge-nous/ (Le blog du cerveau à tous niveaux: Qui est en charge, nous?)

    jung-neuroscience.com -Benjamin Libet et le libre-arbitre

    philosophie.philisto.fr -Le problème du libre-arbitre

    philitt.fr -Le problème du libre arbitre chez Schopenhauer

    scienceshumaines.com -Les mécanismes de la volonté

    Pour terminer, je conseille la lecture des articles du blog elishean.fr qui apporte un point de vue qui me semble intéressant:

    elishean.fr -La Naissance de la Conscience dans L’Effondrement de L’Esprit – Partie 1/3

    elishean.fr -La Naissance de la Conscience dans L’Effondrement de L’Esprit – Partie 2/3

    elishean.fr -La Naissance de la Conscience dans L’Effondrement de L’Esprit – Partie 3/3

     

    La conscience selon bernard stiegler:

    http://arsindustrialis.org/attention (Les modalités de la conscience Attention, Retention, Protention)

    http://arsindustrialis.org/pour-faire-echo-%C3%A0-naomi-klein-et-bernard-stiegler-interview-daldous-huxley-et-conf%C3%A9rences-macy (Pour faire echo à Naomi Klein et Bernard Stiegler : interview d'Aldous Huxley et conférences Macy=

    http://www.softphd.com/these/dispositifs-appareils/conscience-defaut (Bernard Stiegler: la conscience en défaut)

    http://www.softphd.com/these/creation-numerique/figures (le design des programmes
    des façons de faire du numérique
    )

    http://philosophie.chez.com/cours/platon/platon.htm (La théorie platonicienne des Idées et la morale)

    http://agora.qc.ca/documents/ame--la_division_tripartite_de_lame_selon_platon_par_jacques_dufresne (La division tripartite de l'âme selon Platon)

    http://etudesplatoniciennes.revues.org/572 (L’âme du monde : Platon, Anaxagore, Empédocle)

    http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-tripartition-de-l-ame-dans-la-146655 (La tripartition de l’âme dans la pensée de Platon & le mythe de la Triforce dans The Legend of Zelda)

    http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/ameetcorps.htm (L'âme et le corps)

    http://www.systerofnight.net/religion/html/platon.html (Platon: la théorie des idées)

    Giulio Tononi (neurosciences-conscience)

    christof koch (neurosciences -conscience)     alleninstitute.org: Christof Koch

    jean-François Lambert   Changeux      Hanna Damasio   Antonio Damasio      Philip Clayton     Alain Connes,  Ned Block

     

    Libet, d’Espagnat,  Dambricourt     Malassé     Patricia     Churchland,Dennett    Sperry    Hans Helmut Kornhuber  Patrick Haggard,    Ernst Cassirer   Michael Gazzaniga      Roger Sperry 

    Michel Foucault    David Chalmer    Douglas Hofstadter  Daniel Dennett 

    Sir Jonh Eccles     Karl Popper    Frédérick BeckFrancis Crick    Jonh Searle   Freud

     Dr Harlow (phineas cage)


    Lévinas 


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    Pour Girard, l'apocalypse a commencé

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs/24%20-%20Rene%20Girard.htm:              (Les vrais penseurs: René Girard

    1924 — 2015

    Archiviste-paléographe français

    professeur de littérature française aux États-Unis

     

    1) René Girard et  mes articles à propos de ce penseur:


    Né à Avignon (Vaucluse) le 25 décembre 1923, ce philosophe français est membre de l'Académie française depuis 2005. Ancien élève de l'École des chartes et professeur émérite de littérature comparée à l'université Stanford et à l'Université Duke aux États-Unis, il est l’inventeur de la théorie mimétique qui, à partir de la découverte du caractère mimétique du désir, a jeté les bases d’une nouvelle anthropologie Il se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux. Il est l’auteur d’essais traduits dans trente pays : 

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans mes articles, j'essaye d'approfondir sa pensée à travers une de ses dernières oeuvres "Les-origines de la culture".  Pour le moment, j'en suis à  l'article 4:

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2014/11/les-origines-de-la-culture-4-le_6.html (Les origines de la culture 4) Le scandale du christianisme partie 1)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2014/05/les-origines-de-la-culture-3-2-une.html (Les origines de la culture 3-2) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique partie2)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2014/04/les-origines-de-la-culture-3-une.html#.VsjODX3hDDd (Les origines de la culture 3-1) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique partie 1)

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2014/01/les-origines-de-la-culture-2.html (Les origines de la culture 2) Introduction: "Une longue argumentation du début à la fin.")

    http://monblogdereflexions.blogspot.fr/2013/12/les-origines-de-la-culture-1-qui-est.html (Les origines de la culture 1) Qui est René Girard?)

    Dans l'article 1, j'écris: nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants. Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    C'est ce qui m'a donneé l'idée de rédiger cette série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture". 

    Je n'en suis au quatrième article, mais je viens de découvrir un article de la revue reforme.net du 5 novembre 2015 qui a attiré mon attention: pour Girard, l'apocalypse a commencé. Mort le 4 novembre 2015 à l'âge de 91 ans, il n'avait cessé de s'interroger sur la façon dont la religion devient violente, ou est instrumentalisée au nom de la violence.  Pour Henri Tincq dans la revue Slate, "René Girard, l'homme qui nous aidait à penser la violence et le sacré" montre "comment les religions sont devenues extrémistes": "Les deux thèses liées sur la «rivalité mimétique» et le «mécanisme émissaire» ont conduit René Girard –qui a toujours affiché sa foi chrétienne malgré les critiques d’une partie de la communauté scientifique– à s’interroger sur l’origine et le devenir des religions, jusqu’à leurs formes extrémistes d’aujourd’hui. Pour lui, à la naissance des religions, il existe aussi une «rivalité mimétique» autour d'un même «capital symbolique», fondé sur les trois «piliers» que sont le monothéisme, la fonction prophétique et la Révélation". Et plus loin: "René Girard va interprèter les attentats du 11 septembre 2001 comme la manifestation d’un «mimétisme» désormais globalisé. Il déclare, dans une interview au Monde en novembre 2001, que le terrorisme islamique s’explique par la volonté «de rallier et mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans des rapports de rivalité mimétique avec l'Occident». Pour lui, les «ennemis» de l'Occident font des Etats-Unis «le modèle mimétique de leurs aspirations, au besoin en le tuant»."  Dans l'interview donné à réforme.net René Girard va encore plus loin lorsqu'il affirme: "Nous avons atteint un point, rappelle avec force René Girard, où la disparition de l’espèce humaine devient possible – disparition qui est déjà annoncée dans la Bible – si l’homme ne renonce pas à la violence et à la rivalité." Pour la suite, lisons plutôt l'interview qu'on trouvera sur le site  http://reforme.net/une/religion/lapocalypse-a-commence qu'on peut lire ci-dessous.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    « L'Apocalypse a commencé »

     

    L’anthropologue René Girard, professeur à l’université de Stanford, est mort mercredi 4 novembre à l’âge de 91 ans. Le 8 janvier 2008, il avait accordé à Réforme une longue interview.

    Mondialement connu pour sa théorie mimétique, René Girard se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux. Il analyse et commente ici l'actualité sombre du monde à la lumière de son dernier livre inspiré par la lecture de Clausewitz.

     

    La pensée de René Girard, en apparence limpide, se révèle cependant complexe car paradoxale et radicalement différente des courants dominants. Encensé ou vivement contesté, René Girard fait débat aujourd’hui, notamment en raison de ses convictions chrétiennes.

     

    Il vient pour l’heure de publier en français Achever Clausewitz (éd. Carnets Nord, 365p., 22 euros), un livre d’entretiens consacré à Carl von Clausewitz (1780-1831), stratège prussien, auteur du De la guerre. On se souvient de sa formule : « La guerre est la -continuation de la politique par d’autres moyens. » Loin de contenir la violence, la politique court derrière la guerre : les moyens guerriers sont devenus des fins. « Achever Clausewitz », c’est lever un tabou : celui qui nous empêchait de voir que l’Apocalypse a commencé. Car la violence des hommes, échappant à tout contrôle, menace aujourd’hui la planète entière.

     

    Même s’il est un peu troublant et fort peu réconfortant de commencer une nouvelle année par une réflexion aussi pessimiste, il faut bien aussi tenter de regarder le monde en face. Nous avons atteint un point, rappelle avec force René Girard, où la disparition de l’espèce humaine devient possible – disparition qui est déjà annoncée dans la Bible – si l’homme ne renonce pas à la violence et à la rivalité.

     

     

    Vous évoquez dans votre livre, en citant Clausewitz, une « montée aux extrêmes ». Pour vous, l’Apocalypse a déjà commencé…

    Je pense qu’il est nécessaire de dire aujourd’hui la vérité en premier lieu sur les phénomènes liés à la dégradation de l’environnement. La fonte, par exemple, des glaces du Groenland est un phénomène très alarmant. Tous les Etats le savent. C’est un enjeu vital aujourd’hui. Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse.

     

    Cette réalité-là m’impressionne profondément. Depuis trois cents ans, la science a plaidé le contraire pour retomber aujourd’hui sur cette découverte très scientifiquement au moment où on s’y attend le moins. Autrement dit, la pensée apocalyptique n’est plus folle, elle est en train d’entrer dans la vie quotidienne. Si un ouragan de plus touche La Nouvelle-Orléans dans les prochains mois, la question des liens entre ces phénomènes et les activités humaines se reposera. Lorsque l’Apocalypse mélange les deux, c’est une opération qui, sur le plan intellectuel aujourd’hui, a un intérêt prodigieux que même les chrétiens ne veulent pas voir. Ces derniers n’osent pas parler de l’Apocalypse. Des formes de pensée que nous pensions dépassées sont en train de revenir… et ce sont des formes de pensée évangéliques. Ce qui nous paraissait archaïque revient parmi nous sur les ailes de la science. Nos contemporains ne sont pas encore prêts à entendre ces paroles, mais ils vont bientôt l’être.

     

     

    Pourquoi liez-vous la montée en puissance de la violence avec celle des températures à la surface du globe ?

    Il existe un lien direct. Je définis la violence par la rivalité. Dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province... Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n’a aucun sens puisque c’est la même chose des deux côtés. Aujourd’hui, il ne semble rien de plus urgent à la Chine que de rattraper les Etats-Unis sur tous les plans et en particulier sur le nombre d’autoroutes ou la production de véhicules automobiles. Vous imaginez les conséquences ? Il est bien évident que la production économique et les performances des entreprises mettent en jeu la rivalité. Clausewitz le disait déjà en 1820 : il n’y a rien qui ressemble plus à la guerre que le commerce.

     

    Souvent les chrétiens s’arrêtent à une interprétation eschatologique des textes de l’Apocalypse. Il s’agirait d’un événement supranaturel… Rien n’est plus faux ! Au chapitre 16 de Matthieu, les juifs demandent à Jésus un signe. « Mais, vous savez les lire, les signes, leur répond-t-il. Vous regardez la couleur du ciel le soir et vous savez deviner le temps qu’il fera demain. » Autrement dit, l’Apocalypse, c’est naturel. L’Apocalypse n’est pas du tout divine. Ce sont les hommes qui font l’Apocalypse. Il existe aujourd’hui un moment de chambardement qui m’intéresse au plus haut point.

     

    S’il existe une consonance entre l’évolution du monde et les textes de la Bible, quel message nous donnent-ils pour nous guider ? Ils nous avertissent contre notre violence. Ils nous disent : il faut s’en occuper. Mais ils ne disent pas que c’est Dieu qui intervient dans la montée des eaux ou dans la perte des glaces au pôle Nord. Les grands dirigeants du monde en sont cependant encore à se demander qui aura le droit d’extraire prioritairement le pétrole de cette région du Pôle ! Ce qui, évidemment, ne peut qu’accentuer les risques pour la planète. Là résident le comique et le tragique de notre temps. La bonne manière d’écouter ces textes est de faire nôtre cette inquiétude, elle n’est pas celle de Dieu. Nous en sommes seuls la cause. Nous avons mal utilisé nos pouvoirs et nous continuons de le faire. Nous lisons tout à l’envers.

     

    Le développement continu des armements va dans le même sens, de même que les manipulations biologiques dont les hommes tireront on ne sait encore quelle nouvelle puissance pour guerroyer. Etant donné ce que les hommes ont été capables de faire jusqu’ici, peut-on vraiment leur faire confiance ? Cette folie de l’homme est prévue, annoncée par les Evangiles. Dieu n’en est aucunement responsable. Dans ces conditions, je ne vois pas de tâche plus importante que de rappeler sans cesse le réalisme de la révélation et des textes apocalyptiques. Mais même l’Eglise ne s’y réfère plus jamais.

     

     

    Vous avez une vision très pessimiste de l’Histoire…

    Savez-vous qu’il est courant de professer une vision optimiste à mesure que se multiplient les dangers ? Les Etats sont capables de voir un problème à la fois, et sur le court terme. Mais si on prend tous les problèmes qui assaillent notre époque en même temps, n’est-ce pas monstrueux ? Mieux, l’avenir du monde semble totalement désespéré. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il faut s’occuper. Si on a envie que nos petits-enfants puissent vivre sur une terre où ils puissent se tenir debout. Ceux qui tentent d’avertir les hommes d’aujourd’hui arrivent dans une atmosphère totalement athée. Les hommes de notre temps n’arrivent pas à percevoir l’importance et le sens de ces textes apocalyptiques de la Bible. L’Apocalypse, c’est la durée, si ces temps n’avaient pas été abrégés, il n’y aurait plus un seul adorateur du Dieu unique. Dans les grands textes des Evangiles synoptiques, ces temps sont longs et nous y sommes pleinement entrés. Je ne suis pas pessimiste, au fond. J’attends, comme tout chrétien, l’avènement du Royaume de Dieu.

     

     

    A partir de votre analyse, quelle parole recommandez-vous aux Eglises ?

    Il faut d’abord que les uns et les autres lisent le chapitre 24 de Matthieu, le chapitre 13 de Marc et çà et là quelques passages dans l’Evangile de Luc ! Mais comment comprendre ces passages ? Pour moi, l’homme est foncièrement en rivalité et violent. Il entraîne un désordre de toute la communauté qui finit par un phénomène de bouc émissaire. Dans le christianisme, le phénomène du bouc émissaire ne peut plus se produire parce qu’on le comprend trop bien. Pour qu’un phénomène de bouc émissaire se produise, il faut croire que la victime est coupable. Donc avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a. Et, par conséquent, savoir qu’on l’a, c’est être privé de moyens sacrificiels d’arrêter la violence. Nous sommes dans cette situation-là, donc nous sommes confrontés à notre propre violence et la seule solution, c’est celle qui est là, dans le christianisme – qui vient en premier lieu d’ailleurs, bien avant toutes choses –, c’est-à-dire l’offre du Royaume et la non-représaille universelle. La logique est parfaite. De ce point de vue, je ne peux que souhaiter aux uns et autres de se tourner vers le Christ. Je ne suis qu’un chrétien très classique, au fond…

     

     

    Et que dire aux autorités politiques ?

    Qu’il faut tout faire pour interrompre ces processus sans fin qui nous mènent à la destruction totale. C’est-à-dire qu’il faut accepter des mesures qui sont encore impensables aujourd’hui. Diminuer la production, s’il le faut, pour sauver la planète. Nombre d’Américains rattachés au camp républicain estiment que tous ces discours apocalyptiques n’ont pour but que les empêcher de gagner tout l’argent qu’ils méritent. Les conséquences de cette insouciance sont une réelle menace pour l’humanité. Le problème est que les responsables politiques qui tiendraient un tel langage de vérité ne sont pas éligibles. Qui peut attirer les suffrages de ses concitoyens en prônant une politique de restriction dans tous les domaines ou prétendre supprimer les automobiles ? Comment déplaire à l’opinion publique et annoncer de nouvelles mauvaises ? Sans doute, l’évolution de notre planète va devenir telle que des mesures très dures et difficiles s’imposeront. Reste que la démocratie n’est pas armée pour faire face à une situation d’urgence. Nous sommes bien dans une perspective apocalyptique.

     

    La peur, comme le suggère Hans Jonas, ne pourrait-elle pas créer cependant les conditions d’une remise en question ? La peur est pédagogique jusqu’à un certain point. Le sera-t-elle suffisamment ? Cela me paraît fort douteux. Il faut continuer à dire aux opinions publiques que tout finira mal, sans cela vous ne les réveillerez jamais. L’annonce de l’Apocalypse, c’est avant tout le seul discours qui puisse contribuer à sauver le monde. Le problème des responsables est de se situer toujours dans le court terme. Le fondement du religieux, sur le plan social et politique, apparaît à l’inverse comme la pensée de la continuité, le souci de l’avenir. Les discours des religions et celui du christianisme rappellent toutes les traditions qui demandent à être maintenues, la famille par exemple. Traditions qui ont pour fonction de maîtriser la temporalité qui nous échappe. Donc, le religieux est d’une certaine manière conservateur.

     

     

    Seriez-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle « le christianisme serait la religion de la sortie de la religion » ?

    Ceux qui l’évoquent, comme Marcel Gauchet, le disent d’une façon athée, humaniste, la fin du religieux d’une manière post-hégélienne. Alors que je dis de mon côté que c’est la fonction du christianisme depuis le début. Le christianisme n’est pas une religion comme les autres. Les religions ont des dieux, des règles, des doctrines… Le christianisme ne nous apprend pas qui est Dieu, ou plutôt, si nous le savons, ce n’est qu’à travers le Christ. Parce que la mort du Christ nous a appris ce que sont les religions en révélant le mécanisme sacrificiel qui les fonde. La prédication du Christ est la seule à avoir dévoilé l’origine violente de l’humanité et sa perpétuation culturelle. L’échec de la prédication et la Passion, qui sacrifie le plus innocent de tous, ouvrent la voie à la lente connaissance de la méconnaissance du mécanisme victimaire.

     

    Je défends depuis de longues années l’idée que cette révélation du mécanisme de la violence, du sacrifice, est inscrite dans le texte même des Evangiles. La question est : « Mais pourquoi existe-t-il des religions ? ». A mon sens, parce que l’on s’imagine que la victime est vraiment responsable et peut donc provoquer la réconciliation. En réalité, ce phénomène purement victimaire pourrait se passer sur n’importe qui. Le Christ, justement, n’est pas n’importe qui parce qu’il accepte cette mort pour faire connaître aux hommes ce qu’est réellement le religieux. Cette fonction du Christ donne au christianisme une place qui lui permet même d’approuver l’antireligion moderne dans ce qu’elle a de vrai.

     

     

    L’apparition des fondamentalismes ne serait-elle pas une manière de réintroduirede la religion ?

    Oui et non. Le fondamentalisme est avant tout un combattant du religieux. Les fondamentalistes sont dans le même mouvement que des athées qui sont partisans de telle ou telle idéologie. Généralement, les fondamentalistes que l’on rencontre aux Etats-Unis sont plutôt ignorants, mais voudraient bien qu’on les laisse tranquilles et que l’on ne les attaque pas systématiquement sur leurs convictions contre le mariage homosexuel. Convictions qu’ils considèrent conformes à leur lecture traditionnelle de la Bible. Ils sont en réalité minoritaires et ne dominent en rien l’Amérique. Pourtant, j’adresse aux fondamentalistes un reproche fondamental : ils attribuent à Dieu, ou à des phénomènes surnaturels, ce qui revient en réalité aux hommes. C’est pour cette raison qu’ils sont absurdes et non pour leurs convictions que l’on a coutume de qualifier de rétrogrades.

     

     

    A propos du sacrifice, comment comprendre le sacrifice de ces terroristes qui donnent leur vie pour ôter celle d’autres vivants ?

    Nous ne savons pas. Nous sommes devant une culture de mort qui nous échappe. Le 11 septembre 2001 a été le début d’une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu’est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l’héroïsme occidental est qu’il s’agit d’imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Cette « montée aux extrêmes » de la violence sort de notre univers.

     

    Je crois que nous sommes attachés à la vie d’une manière qui ne nous permet pas d’y accéder. Le terrorisme nous dépasse, on a l’impression de ne plus pouvoir réfléchir. C’est une menace, du fait même que l’on ne comprend pas. On ne peut pas négocier. Et encore moins faire la guerre contre le terrorisme sans même savoir où sont les terroristes, s’ils existent, s’ils ont envie de négocier…

     

    Les Américains ont commis l’erreur de « déclarer la guerre » à Al-Qaida alors qu’on ne sait même pas si Al-Qaida existe. Le président Bush a réagi avec son instinct d’Américain, comme s’il s’agissait d’un adversaire habituel. Il s’est lourdement trompé. Il pensait répondre à une attente. Mais sans réflexion. Il savait que l’Amérique attendait de l’action. D’où la guerre d’Irak… Une bêtise absolue ! L’ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l’ère du passage à l’acte universel. Il n’y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin.

     

     

    Vous situez le Christ au cœur de l’histoire de l’humanité, mais quelle place accordez-vous aux autres religions ?

    Les autres religions sont nécessaires pour l’arrivée au christianisme. L’éducation de l’homme est faite par le religieux. Les religions non chrétiennes sont nécessaires à un certain stade de l’humanité. Elles ont permis ce passage de l’animalité jusqu’à l’homme. Mais le christianisme met fin à ces religions et nous place devant l’Apocalypse.

     

    Le sacrifice, par exemple, personne ne peut le définir parce que c’est trop évident. Il s’agit d’une violence de substitution, nécessaire pour passer la colère des hommes. Le nom chrétien du péché capital est bien la colère, plus que le ressentiment. Le péché originel, c’est la violence, ou plutôt l’ensemble, orgueil, colère et violence. L’islam, de son côté, ne dit rien contre la violence. Il l’accepte parfois comme un des véhicules de la révélation de Dieu. Il n’y a de devoir du chrétien de conquérir quoi que ce soit par la violence. D’une certaine manière, l’islam est une idéologie religieuse qui reste plongée dans l’archaïsme. Il en va différemment du judaïsme. Dans la Bible, on trouve les premiers textes religieux où la victime est innocente. L’histoire de Joseph, par exemple, on sent bien qu’elle va vers le christianisme, elle est tout entière prophétique, au sens chrétien du terme. Précisément parce qu’elle fait de la victime la victime de ses frères. L’histoire commence par une sorte de lynchage, et ce lynchage, c’est celui de l’innocent et non pas du coupable… Déjà l’histoire du Christ.

     

     

    Que répondez-vous à ceux qui, à l’exemple du philosophe Michel Onfray, considèrent que ce sont les religions qui sont sources de violences et de guerres ?

    Ce sont des penseurs qui en sont -encore à Auguste Comte. Un homme qui considérait que le religieux était essentiellement une réponse à la question des origines de l’univers. Le bon sauvage sous le ciel étoilé qui médite sur l’univers et se demande d’où cela vient... La religion archaïque n’a strictement rien à voir avec ce genre de préoccupation.

     

    Pour ce qui est de la violence, sachez qu’à toutes les époques on tue au nom de ce qui importe alors. Au moment de la féodalité, on estimait que la justice royale permettrait une paix universelle. A partir des rois on a cru que les querelles dynastiques étaient à l’origine des guerres. Quand on en arrive à la république, Clausewitz voit très bien que celle-ci produit une mobilisation du peuple pour la guerre, qui jusqu’alors était le fait des princes. L’origine de la violence sera toujours cherchée ailleurs, on désignera toujours la chose la plus importante du moment… Alors que c’est l’homme, bien entendu, qui est à la source de toute violence.

     

     

    Vous considérez cependant le christianisme comme une religion rejetée, sinon méprisée, aujourd’hui… 

    Le christianisme est radicalement méprisé. Et il est le seul dans ce cas. Il est méprisé particulièrement en Europe parce qu’il faut se défendre contre lui. Il annonce que les hommes sont violents, c’est lui qui vient troubler notre tranquillité archaïque. Le christianisme n’est pas reçu, en réalité, parce qu’il n’est pas compris. Il faut en revenir au texte et au message évangélique…

     

     

    Démarche protestante, s’il en est…

    Savez-vous que les catholiques ont toujours pensé que j’étais protestant ? A dire vrai, protestantisme, catholicisme…, cela n’a pas grande importance à mes yeux. Les catholiques sont aussi influencés par les protestants que les protestants peuvent l’être par les catholiques. La remarque est évidente pour ce qui est des Etats-Unis. Les protestants comprennent la valeur de l’unité. Les intellectuels, en particulier, regardent beaucoup plus aujourd’hui ce qui se passe dans l’Eglise catholique. Il se trouve que de nombreuses conversions au catholicisme ont lieu en ce moment aux Etats-Unis. Il faut dire que la vie intellectuelle dans les universités américaines est dominée par des figures catholiques. Les White Anglo-Saxons Protestants sont toujours, de leur côté, plus attirés par le business. C’est peut-être le souci de la parole d’autorité, de la parole qui se fait entendre dans le monde, qui questionne aujourd’hui la pensée américaine. D’où peut-être cette attirance nouvelle pour l’universalité du catholicisme.

     

     

    Le tragique serait-il pour vous le dernier mot de l’Histoire ? 

    Le tragique en grec, c’est le mot trogos. C’est la mort de cette victime qui finalement réconcilie. Donc, c’est aussi la catharsis. La tragédie grecque elle-même ne fait que répéter la naissance du religieux. C’est la mort de la victime qui ramène la paix en amenant la purification de la violence. La mort de la victime ramène la paix. La tragédie respecte le schéma de la religion archaïque. Reste quand même une incertitude sur la vérité de la culpabilité de la victime. Cela va dans le sens du christianisme. Mais accepter la vérité du christianisme, c’est se débarrasser du tragique, c’est l’au-delà du tragique. Nous ne savons pas ce dont il s’agit réellement. Mais nous savons pourtant que l’Apocalypse, ce n’est pas triste, dans la mesure où si on arrive vraiment à elle, on commence à passer à autre chose. Les chapitres apocalyptiques des Evangiles annoncent cela, mais ne sont pas pour autant un happy end. La providence, c’est toujours une attente, l’Apocalypse, c’est sûr.

     

     

    Reste que nous ne sommes pas appelés à la peur, mais à la confiance…

    « N’ayez pas peur. » Cette parole apocalyptique se trouve dans l’Evangile. Cela ne va pas être facile, ni plaisant, mais le Christ nous dit : « Ne vous en faites pas ! » Il faut continuer jusqu’au bout, comme si de rien n’était. La vocation de l’humanité continue. Penser vraiment l’Apocalypse, c’est penser la tragédie des temps qui viennent dans une lumière chrétienne qui est fondamentalement optimiste. Ce n’est pas la fin de tout, mais l’arrivée du Royaume de Dieu. Royaume de Dieu dont nous n’avons aucune explication. Mais qu’importe, puisqu’il se rapproche de nous.

     

     

    René Girard est professeur émérite de littérature comparée à l’université Stanford et à l’université Duke (Etats-Unis) et membre de l’Académie française depuis 2005. Site principal sur René Girard en français : perspectives-girard.org/intro.php



    Liens: 

    http://domirigaray.blogspot.fr/ (blogs à propos de rené girard)

    http://commeletoiledumatin.blogspot.fr/ (violence, religion, daesh)

    http://www.perspectives-girard.org/references/references/reference-0002.pdf : Comment "Dieu est mort !", selon Nietzsche.  c'est le texte capital, paraît-il, sur la disparition définitive de toute religion"

     
     

     

     











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    Les origines de la culture 4) Le scandale du christianisme partie 2

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 4-2)

    wikipedia.org -René Girard

     

     

     

     


    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -anorexie et désir mimérique (2008)


    http://www.perspectives-girard.org/recette/index.php?p=oeuvre: rené girard-perspectives humaines et perspectives chrétiennes

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.  Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous avons commencé la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". Je résume et donne dans ces articles ma lecture des questions posées à René Girard (qui sont dans l'article en caractères gras) et de ses réponses

    Dans les articles 3-1 et 3-2 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons analysé le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture. Nous avons conclu que le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous avons vu pourquoi dans l'article précédent: "Le scandale du christianisme" partie 1.  Poursuivons maintenant cette analyse avec la Révélation et les religions orientales.

    Exergue: "Un essai en hébreu est même paru à son propos, montrant que la théorie est contenue dans l'Ancien Testament!Charles Darwin  autobiographie.

    1) La révélation et les religions orientales.

    orphisme.blogspot.fr -l'orphisme, religion pour les femmes?

    a) "Lucien Scubla a remis en question le caractère judéo-chrétien de la Révélation (la conscience de l'innocence de la victime dans le phénomène du bouc émissaire) en avançant que "la tradition orphique condamnait toutes les formes de sacrifice de sang et reprochait déjà aux hommes d'avoir fondé leurs cités sur le meurtre"."
    Pour René Girard, c'est vrai en partie seulement, la tradition orphique semble proche du christianisme par certains aspects, en particulier pour la notion de péché originel ("La doctrine orphique (wikipedia.org) est une doctrine de salut marquée par une souillure originelle ; l'âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l'initiation pourra la faire sortir, pour la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin"). Par ailleurs selon Girard, "dans la vision orphique, tous les hommes reçoivent en héritage une part de la violence titanesque, mélangée à des étincelles de bonté, de divinité, au sens de la tradition gnostique". 

    Scubla peut donc voir dans les mystères orphiques quelque chose de proche du christianisme. C'est vrai jusqu'à un certain point (l'orphisme s'est développé dans dans un monde déjà influencé par la bible). Mais la révélation de l'innocence de celui qui a été choisi comme bouc émissaire s'est répandue uniquement par le biais des Ecritures judéo-chrétiennes. La tradition orphique est incomplète et fragmentaire et... elle n'a pas changé le monde comme le christianisme l'a changé. Ce sont les évangiles qui sont la vraie force qui permet la démystification moderne de la violence unanime. 


    b) "On pourrait apporter d'autres arguments pour limiter le rôle du christianisme dans la révélation de la structure sacrificielle des religions anciennes, en rappelant que certaines religions, comme le Jaïnisme en Inde, se sont éloignées de tout ordre sacrificiel et ont tout à fait rejeté le sacrifice". 

    Une société ou un groupe religieux peuvent atteindre une conscience aiguë de la violence humaine. C'est le cas du Jaïnisme en inde où 8000 Tamil Jain, à cause de cette conscience justement, ont été ont été persécutés par le roi shaïvite Koon Pandiyan dans le village de Samanatham près de Madurai. Les Jaïnistes ont exercé une certaine influence, mais ce ne sont pas eux qui ont transformé le monde même s'ils ont prôné l'instauration de l'égalité sociale entre les hommes, la tolérance religieuse, affirmé l'indépendance des individus face à la domination des prêtres, l'émancipation religieuse des femmes et le développement de l'éducation des filles, l'inculcation du principe de la confiance en soi. Ghandi voyait une analogie entre leur philosophie et et le christianisme, mais il opta pour une action politique plus compatible avec le christianisme, qui entraîne une intervention dans les affaires du monde, non sous la forme de prosélytisme outrancier comme on le croit généralement, mais sous forme de conversion individuelle, personnelle en adoptant une position de non-violence, tout comme le christianisme qui propose le christ comme modèle à imiter. Pour René Girard, "c'est notre esprit chrétien qui nous permet de distinguer dans le Jaïnisme une religion voisine de nos présuppositions éthique". 

    Dans l'esprit de laïcité qui se généralise actuellement, ce qui est attirant dans les religions orientales, c'est l'absence d'un Dieu transcendant. Le récit fondateur du bouddhisme, strictement individuel, est un chemin personnel qui mène à une Révélation plus conforme à l'individualisme contemporain.

     

    C) "Bien que de nature non violente, le jaïnisme est retombé dans un système de castes patriarcales, héritage de l'hindouisme brahmanique si répandu en Inde, qui représente encore une forme d'exclusion symbolique réelle. C'est ce que nous appelons la "violence structurelle", une injustice complète. De plus, comme cela a été avancé lors d'un récent colloque COV&R, l'histoire des religions et des sociétés en Asie montre que, d'un point de vue purement descriptif, les cultures et les Etats hindouistes ou bouddhistes ne sont pas aussi étrangers à la violence qu'on se l'imagine parfois (comme d'ailleurs aux premiers temps du christianisme). "

    http://www.uibk.ac.at/theol/cover/ (colloque COV&R)

    Arthur M. Hocart soutient en effet que le système des castes est d'origine sacrificielle. Lors de ce colloque (voir les actes et le sommaire), il a été dit que les religions sont pleinement conscientes, dans leurs règles et leurs préceptes, de l'injustice inhérente à la violence et que les traditions orientales ont contribué à rendre ces sociétés moins violentes. Tout en sachant que l'homme devait écarter la colère, la rancune, le ressentiment et l'envie, elles n'ont jamais été pleinement conscientes du mécanisme de bouc émissaire. Elles tentèrent d'interdire progressivement le le sacrifice (le jaïnisme, comme on l'a vu l'a rejeté). La différence avec le christianisme, c'est que celui-ci fait, dans les évangiles, la lumière sur le mécanisme du bouc émissaire et du sacrifice mimétique.

     

    Liens: http://lucadeparis.free.fr/jpweb/surscubla.htm (L'anthropologie morphogénétique selon Lucien Scubla)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien_Scubla
    http://www.rene-girard.fr/offres/doc_inline_src/57/Lucien+Scubla.pdf (Lucien Scubla)
    http://1libertaire.free.fr/LScubla05.html (Lucien Scubla: 
    Quel est votre sentiment général sur l’œuvre de Girard et sa place dans l’histoire de l’anthropologie ?)
    fr.wikipedia.org -orphée
     http://fr.wikipedia.org/wiki/Orphisme_(religion)
    http://www.cosmovisions.com/$Orphisme.htm
    http://astro-cosmogonie.com/Pge_CosOrphiques.htm (
    LES COSMOGONIES ORPHIQUES)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Ja%C3%AFnisme (jaïnisme)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Portail:Ja%C3%AFnisme (Portail:Jaïnisme)

    http://classiques.uqac.ca/classiques/hocart_arthur_maurice/au_commencement/au_commencement.html (Au commencement était le rite. De l'origines des sociétés humaines)

    http://classiques.uqac.ca/classiques/hocart_arthur_maurice/hocart_arthur_maurice.html (Arthur Maurice HOCART [1883-1939]) 

    http://www.slu.edu/department-of-theology-home/2015-colloquium-on-violence-and-religionhttps://www.facebook.com/COVandR (colloque violence et religion 2015)

     

    2) Le jugement de Salomon et l'espace non sacrificiel.


    a) "Le jugement de Salomon est l'un des textes antisacrificiels les plus puissants de l'Ancien Testament. Il est au coeur de votre réflexion (de René Girard) dans "
    Des choses cachées(Des choses cachées depuis la fondation du monde), où vous tentez de définir la possibilité d'un espace non sacrificiel". 

     

     

     

     

    mapage.noos.fr -le jugement de salomon

     

    Salomon est roi d'Israël vers 950 avant J.C., la tradition insiste sur sa sagesse.

    l'histoire du jugement :
    Deux femmes sont venues demander justice. Elles ont chacune un enfant du même âge, mais l'un est mort accidentellement étouffé pendant son sommeil. Chacune affirme que l'enfant vivant est le sien."Elles se disputaient ainsi devant le roi qui prononça :
    " Apportez-moi une épée", ordonna le roi ; et on apporta l'épée devant le roi, qui dit : "Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre." Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi, car sa pitié s'était enflammée pour son fils, et elle dit : "S'il te plaît, Monseigneur ! Qu'on lui donne l'enfant vivant, qu'on ne le tue pas !" mais celle-là disait : "Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez !" Alors le roi prit la parole et dit : "Donnez l'enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère." (le Livre des Rois chapitre 3) (le Livre des Rois chapitre 3)
    L'une des deux mères accepte, mais l'autre refuse et préfère renoncer à son enfant afin de le sauver. 

    "Des choses cachées" est construit autour de ce texte qui a joué un rôle essentiel dans la réflexion de René Girard sur le sacrifice. Cette action est prophétique du Christ qui, d'ailleurs était, au moyen-âge, perçue  non dans la bonne prostituée, mais dans Salomon. La mauvaise prostituée accepte le le meurtre, le sacrifice, alors que la bonne la refuse. La bonne mère, elle, renonce à l'enfant pour que celui-ci vive. Elle ne veut pas mourir, mais elle est prête à tout subir et même à renoncer à l'enfant pour qu'il vive. N'est-ce pas aussi le vrai sens du sacrifice du Christ? 

    Girard avait dit dans "Des choses cachées depuis la fondation du mondeIl y n'y a pas de différence plus grande que celle existant entre ces deux actions représentatives du sacrifice. C'est pourquoi il a refusé d'utiliser le même mot pour les décrire. Et, puisque le sens de sacrifice comme immolation ou meurtre est plus ancien, il a décidé que le mot sacrifice s'appliquerait à cette action, sacrifice-meurtre. Mais depuis, il a changé d'avis. La différence entre ces deux actions est la plus grande qui soit, et c'est la différence entre le sacrifice archaïque (qui détourne contre une victime choisie la violence accumulée par la société) et le sacrifice au sens chrétien (renoncer à toute revendication égoïste et à la vie s'il le faut, pour ne pas tuer). 


    Nota: sacrifice archaïqueil aurait pour but de canaliser la violence vers un individu (sacrifié) et vers le domaine du sacré, institutionalisant ainsi la violence qui est encadrée et pratiquée selon des rites et règles bien précises.


    b) Les deux actions sont ici superposées.
    Les évangiles font de la mauvaise prostituée et du mauvais sacrifice une métaphore pour la vieille humanité incapable d'échapper à la violence, sans sacrifier des victimes. Le Christ, par son sacrifice, nous libère de cette nécessité; Le sacrifice y prend le sens de sacrifice de soi-même, le sens du Christ. On peut alors dire, en quelque sorte, que que la religion primitive, archaïque, annonce le Christ à sa façon., mais très imparfaite. 

    Les deux formes de sacrifice du paragraphe précédent, (celle de la mauvaise prostituée et celle de la bonne) sont radicalement opposées mais en même temps inséparables. Il n'existe entre elles aucun espace non sacrificiel. On ne peut pas trouver de différence plus grande; d'un côté, le sacrifice comme meurtre, de l'autre, le sacrifice comme acceptation de la mort, s'il le faut, pour ne pas tuer. L'histoire morale de l'humanité est un passage du premier sens au second, accompli par le Christ , mais pas par l'humanité qui a tout fait pour ne pas voir le dilemme et pour y échapper.

    Je pense qu'il est urgent de méditer cette pensée de Girard en cette période ultra-matérialiste où ne compte que la performance et le profit. Les éclairs de conscience et les germes de réveil que nous voyons poindre de plus en plus sont à cultiver.


    C) "Ce changement de perspective dans votre théorie est encore plus évident quand on le compare au débat que vous avez eu avec les théologiens de la Libération, en 1990, au Brésil. A cette occasion, Franz Hinkelammert a discerné les concepts de "non sacrificiel" et "antisacrificiel", avant de demander: "est-ce vraiment comprendre la pensée de Girard que de la définir comme antisacrificielle? Je crois que non, parce que sa pensée est non sacrificielle [...]. La position antisacrificielle peut être extrêmement sacrificielle". 

    http://mythologica.fr/biblique/cain et abel


    "La théologie de la libération est un courant de pensée théologique chrétienne venu d’Amérique latine, suivi d’un mouvement socio-politique, visant à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus et les libérant d’intolérables conditions de vie. Enracinée dans l’expérience biblique du peuple juif guidé par Dieu au-delà de la mer Rouge et à travers le désert — d’une terre d’esclavage (Égypte) à la Terre promise (Exode, ch. 12 et suivants) elle est un « cri » prophétique pour plus de justice et pour un engagement en faveur d’un « Règne de Dieu » commençant déjà sur terre. La réflexion théologique part de la base : le peuple rassemblé lit la Bible et y trouve ressources et inspiration pour prendre en main son destin".

    "Attentif aux pauvres, critique à l’égard du néolibéralisme, le pape François ressemble à un « théologien de la libération ». En réalité, il s’est opposé à ce mouvement que l’Institution catholique accusa longtemps d’inspiration marxiste et qui a tant influencé l’Eglise en Amérique latine".
    Je pense que 
    Franz Hinkelammert a raison, dit René Girard qui a écrit un essai concernant sa position à ce sujet, "théorie mimétique et théologie" (dans "celui par qui le scandale arrive"ch I-3), d'abord paru en Allemand dans un ouvrage dédié à Raymund Schwager: "il faut repérer un phénomène de "bouc émissaire" spontané derrière la crucifiction, tout autant que derrière les mythes". Ce phénomène n'est pas là dans les mythes, alors qu'il est là dans les Evangiles et le plus surprenant, c'est que ce repérage vient du Christ lui-même plutôt que des évangélistes qui font tout ce qu'ils peuvent pour suivre le Christ.

    Selon René Girard, "l'histoire des religions est en fait une histoire du sacrifice commencée avec les relogions archaïques qui ont véritablement éduqué l'humanité et l'on sortie de la violence archaïque. Puis Dieu est devenu une victime afin de libérer l'homme d'un Dieu violent, illusion qui doit être abolie en faveur de la connaissance que le Christ reçoit de son Père. On peut considérer les religions archaïques comme le premier stade de la révélation progressive qui culmine dans le Christ. "  Ainsi, la véritable histoire de l'humanité serait une histoire religieuse qui remonte au cannibalisme primitif, qui serait la religion alors que l'Eucharistie récapitulerait cette histoire, de l'alpha à l'oméga. Et pour commencer, l'histoire de l'homme inclut ce début meurtrier: Caïn et Abel

    Je crois que cette vision me séduit et que je suis assez d'accord.

    Conclusion: un espace absolument non sacrificiel est impossible. René Girard a tenté de le trouvé dans "La violence et le sacré" et Des choses cachées", mais il pense maintenant que trouver cet espace à partir duquel tout pourrait se comprendre et s'expliquer sans engagement personnel est une tentative qui ne peut réussir. La difficulté aujourd'hui de construire le monde autour des valeurs égalitaires en est peut-être la traduction. L'avenir nous dira ce qu'il en est.


    liens: http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_de_la_lib%C3%A9ration (Théologie de la libération)

    http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/qui-sont-les-theologiens-de-la-liberation-11-06-2013-3155_110.php (qui sont les théologiens de la libération?)

    http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/le-pape-francois-est-il-un-theologien-de-la-liberation-26-03-2013-38378_16.php (le pape François est-t-il un théologien de la libération -a priori non)

    http://authueil.org/?2006/04/25/62-celui-par-qui-le-scandale-arrive (Celui par qui le scandale arrive par authueil)

    http://www.parutions.com/pages/1-6-63-2200.html (celui par qui le scandale arrive)

    http://mythologica.fr/biblique/cain.htm (abel et caïn)

     

    3) L'Histoire et la conscience sacrificielle.


    a) En adoptant une formulation plus théologique, la notion de "Dieu passager et mutable", soutenue par des penseurs comme scholemHans Jonas, ou Sergio Quinzio, se raccroche-t-elle à votre idée de la religion comme élargissement progressif de la conscience et du christianisme comme révélation et transformation du Logos violent en Logos divin?

    pour Scholem la conception d'un Dieu vivant n'est pas incompatible avec le principe de son immuabilité. Pour Jonas, Dieu est un Dieu qui devient, un Dieu qui vient à l'existence en temps voulu, bien qu'il soit un Etre complet, toujours identique à Lui-même dans le temps de l'éternité. La tradition hébraïque parle aussi de l'unification de Dieu avec sa Shekhinah.

    Girard ne voit pas Dieu comme une entité changeante, mais le comprend de façon ontologique: "je suis celui qui suis", comme Dieu l'a dit lui-même à Moïse selon l'Ecriture. Dieu, comme on l'a vu précédemment a "une stratégie" pédagogique à partir de la religion archaïque vers la Révélation chrétienne. C'est ainsi qu'une humanité libre peut se développer. Sartre a pu dire: "Dieu ne peut pas être, parce que, si Dieu a fait l'homme, ce dernier n'aurait pas pu le créer libre, et donc, l'homme étant libre, il n'y a pas de Dieu". Avec le système du bouc émissaire, nous voyons que cette logique est contournable et que la vision de Sartre n'est pas forcément juste. Même si l'impossibilité dont il parle est réelle, Dieu permet les sacrifices et les hommes peuvent s'éduquer eux-mêmes peu à peu, hors de leur violence, tout en ne réussissant jamais complètement. Ils ont besoin du Christ qui supplée à leurs insuffisances, ils changent donc, mais pas Dieu. La différence entre les religions archaïques et le christianisme, c'est que dans le cadre archaïque, on pense que la victime est coupable parce que tout le monde le dit et on ne comprend pas qu'elle est seulement un bouc émissaire. Dans les Evangiles, il y a aussi un moment d'unanimité (dans les cris: "à mort!, à mort) et même les disciples de Jésus se détournent de lui et rejoignent la foule. Mais la résurrection détruit cette unanimité et les disciples dénoncent la système du bouc émissaire et ainsi le révèlent.

    Le "Dieu passager et mutable", qu'évoquent scholemHans Jonas, ou Sergio Quinzio, c'est le sacré qui progressivement se transforme en saint dans l'histoire humaine. Dieu de la Bible, il est devenu Dieu de la sainteté étranger à toute violence, le Dieu des Evangiles. Il y a un refus chrétien d'abandonner la Bible hébraïque et l'Ancien Testament, refus de l'attitude marcioniste. Cela montre qu'il y a à la fois rupture et continuité entre le religieux archaïque, sacrificiel et la révélation biblique qui nous fait émerger hors du sacrifice mais qui ne nous autorise pas à le condamner car par nature, nous ne sommes pas étrangers à la violence. Nous vivons peut-être l'émergence d'une nouvelle Révélation. 

     

    Liens: http://jec2.chez.com/archobsrvshole.htm (Observations sur l'oeuvre de Gershom Scholem)

    http://theoremes.revues.org/150 (Gershom Scholem, d'une redécouverte de la kabbale et de ses enjeux)

    http://francesca1.unblog.fr/2011/07/07/shekinah/ (la gloire de la shekhinah)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Preuve_ontologique_de_G%C3%B6del (preuve ontologique de l'existence de Dieu selon gödel)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Argument_ontologique


    b) A propos de cette question, comment percevez-vous la tradition gnostique? Fait-elle aussi partie de l'histoire de la Révélation?

    http://art-du-vivant.com/blogcfio/esoterisme-chretien/

     

    Si je me réfère au site franc-maconnerie.org "Le terme de gnose désigne diverses tendances qui ont toujours existé dans les grandes religions monothéistes, et qui présentent des points communs aussi bien avec la pensée néoplatonicienne qu'avec les spiritualités orientales.

    Gnose signifie connaissance. Il s'agit de la connaissance intérieure, par laquelle l'homme appréhende le divin, indépendamment de tout dogme, de tout enseignement; la gnose s'apparente ainsi au mysticisme. Les gnostiques considèrent que Dieu ne peut être en contact avec le monde, essentiellement mauvais, œuvre du Démiurge. La matière est assimilée à l'ignorance, au mal, et la vie terrestre résulte d'une chute de l'esprit dans cette matière, perte de l'unité originelle avec Dieu. L'homme, prisonnier des dualités (bien/mal, âme/corps, connaissance/ignorance), ne garde plus de son origine divine que la vague nostalgie d'un paradis perdu. Mais le principe divin, l'âme, est en lui, et la recherche spirituelle peut le mener au salut en libérant l'âme de sa prison corporelle".

    Pour René Girard, "la gnose est très actuelle, car c'est toujours un effort pour échapper à la Croix, c'est à dire perpétuer la méconnaissance par l'homme de sa violence et protéger son orgueil de la Révélation. Sans la croix, il ne peut y avoir de Révélation de l'injustice fondamentale que constitue le mécanisme du bouc émissaire, fondateur de la culture humaine et qui se répercute dans tous les rapports que nous avons avec nos semblables". 

    La gnose méconnaît donc la révélation?

    liens: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gnosticisme

    http://www.franc-maconnerie.org/la-gnose

    http://reforme.net/une/religion/lapocalypse-a-commence (pour girard, l'apocalypse a commencé)

     

    c) Roberto Calasso critique votre conviction que la Révélation chrétienne opère une sape progressive du sacrifice: "Dans cette application tordue des Lumières, cependant la principale faiblesse de Girard apparaît: la persécution n'a en fait jamais été aussi répandue que dans l'Occident moderne, qui ne connaît rien du sacrifice et le considère comme une superstition". 

    Girard trouve profonde et inspirée la description de Calasso de la société moderne. Mais elle est trop unilatérale. Calasso est très favorable au sacrifice, il ne fait pas de distinction entre la Révélation chrétienne et la mauvaise utilisation qu'on en fait aujourd'hui. Pour lui, être opposé au sacrifice sanglant constitue une faiblesse des individus ou des collectivités et, avec Nietzsche, il veut croire qu'être pour la violence est plus intelligent et que c'est ce qu'il faut faire. Calasso a intégré l'utilité positive du sacrifice dans les sociétés archaïques et il voit que le monde moderne est menacé par la perte des protections sacrificielles, ce qui est somme toute très lucide et qu'assez peu de gens peuvent voir.

    C'est pourtant ce que dit René Girard qui définit le monde moderne comme essentiellement privé de protection sacrificielle, c'est à dire toujours plus exposé à une violence aggravée qui est, le sienne (celle de Calasso), comme la mienne, notre violence à nous tous. Mais le mouvement de la rationalité moderne n'est pas intrinsèquement mauvais. Le progrès scientifique est un progrès réel qui fait donc voir Girard comme un "homme des lumières" à Calasso.  ("L'histoire progresse à la fois dans le sens du bien et dans le sens du mal", dit Jacques Maritain). Calasso ne voit pas la signification profonde de la Révélation chrétienne telle que l'a découvert René Girard.


    d) La lecture de Nietzsche s'est révélée fondamentale pour de nombreux philosophes contemporains. Vous-même avez reconnu qu'il avait contribué à votre interprétation de Dionysos. Selon vous, l'aphorisme 125 du Gai savoir, très souvent cité, dans lequel Nietzsche affirme que "Dieu est mort", va au coeur de la logique sacrificielle.

     

    http://www.lemenestrel.com/TEXTES/dionysos-dieu-grec.html

     

    Au lieu de dire "Dieu est mort", Nietzsche dit en fait: "Nous l'avons tué. Voici la traduction de Pierre Klossowski dans Oeuvres philosophiques complètes: "Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c'est nous qui l'avons tué. Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu'alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux - qui essuiera ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cette action n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître dignes de cette action? Il n'y eut jamais d'action plus grande; et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais histoire jusqu'alors". 

    Nietzsche ne nous parle-t-il pas ici d'une re-fondation religieuse de la société en inventant un rituel d'expiation, autrement dit d'une nouvelle religion? Tous les dieux commencent d'abord par mourir, éternel retour (du religieux sacrificiel), création et recréation de la culture qui implique toujours la présence initiale d'un meurtre fondateur. Pour rené Girard, ce texte va au-delà de la pensée explicite de Nietzsche en définissant l'éternel retour comme une succession sans fin de cycles sacrificiels, repérables dans les aphorismes d'Héraclite et Anaximandre.  Il n'était sans doute pas pleinement conscient de ce qu'il disait dans cet aphorisme et c'est l'exemple de texte qui échappe à son auteur. En fait, nietzsche utilisait sans s'en rendre compte des mots à connotation rituelle, sacrificielle.

    Ainsi, ce texte parle de la naissance de la religion en même temps que de sa mort et c'est ce que le meurtre de Dieu contraint le meurtrier à inventer: un nouveau culte religieux. 


    Les derniers mots que Nietzsche a  écrits en 1989, aux limites de la folie, "Condammo te ad vitam diaboli vitae" ('je te condamne à la vie éternelle en enfer") constituent un passage impressionnant qu'il est difficile d'interpréter en dehors en dehors d'un cadre chrétien. Nietzsche s'est-il condamné à l'enfer en voulant être Dionysos contre le Christ? (voir aussi SOLLERS ET LA RELIGION Dionysos et le Ressuscité). Héraclite l'a déjà dit: Dionysos, c'est la même chose qu'HadèsNietzsche était jaloux du Christ selon André Gide, il était donc du côté de Satan, ce qui signifie d'après Girard, prendre parti de la foule contre la victime innocente.

     

    liens: http://fr.wikipedia.org/wiki/Dionysos

    http://www.lemenestrel.com/TEXTES/dionysos-dieu-grec.html (Qui est Dionysos, le dieu Grec ?)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu_est_mort_(Friedrich_Nietzsche)

    http://leportique.revues.org/126 (Mort de Dieu et volonté de puissance)

    http://www.perspectives-girard.org/references/references/reference-0002.pdf (Comment "Dieu est mort !", selon Nietzsche: c'est le texte capital, paraît-il, sur la disparition définitive de toute religion")
    http://fra.anarchopedia.org/dieu_est_mort (Dieu est mort)
    https://lesarchivesdeladouleur.wordpress.com/2012/05/20/god-is-dead/ (dieu est mort)

    http://www.lemondedesreligions.fr/mensuel/2010/40/friedrich-wilhelm-nietzsche-04-05-2010-122_106.php (Prophète de la mort du Dieu chrétien, le philologue allemand développa une pensée paradoxale, à la fois athée et spirituelle, qui prêche une mystique de l’« éternel retour » et annonce l’avènement d’un Dieu positif, « qui danse et qui rit ».

    http://www.webnietzsche.fr/dieumort.htm (Dieu est mort, pourquoi ?)

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1981_num_50_1_2036 (Girard, Euripide et Dionysos)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Klossowski (cité par rené girard pour la traduction de nietzsche, le gai savoir)

    http://www.webnietzsche.fr/retour.htm (l'éternel retour)

    http://www.eris-perrin.net/2014/08/nietzsche-et-l-eternel-retour.html (Nietzsche et l'éternel retour)

    http://www.in-limine.eu/2014/04/nietzsche-et-jesus-par-georges-bataille.html (Nietzsche et Jésus (par Georges Bataille))

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1981_num_50_1_2036 (Quand René Girard nous offre ses salades. Remarques sur la théorie girardienne du sacrifice)

    http://www.willeime.com/Nietzsche.htm (Nietzsche et l'inversion des valeurs par le chrisitanisme)

    http://files.alaindebenoist.com/alaindebenoist/pdf/rene_girard.pdf (RENE GIRARD, AUTEUR SURFAIT par alain de benoist

     

    4) Celui par qui le scandale arrive.

     

    a) Dans votre théorie, il semble que les êtres humains ne soient ni autonomes (car leur désir est toujours mimétique, ni pacifiques (car ils ne peuvent éviter l'apparition de formes de violence engendrées par la nature mimétique de leur désir). Ne pensez-vous pas que cette conception de l'humanité a eu une influence négative sur l'accueil fait à votre travail?

    La réponse de René Girard, c'est que, même si le désir est toujours mimétique, on peut y résister et c'est l'intérêt d'être chrétien - Jésus lui-même a résisté. La liberté de l'homme c'est la possibilité de résister au mécanisme mimétique. 

    La seule liberté consisterait donc à imiter Jésus et ne pas rejoindre le cercle mimétique ainsi que  Paul  le dit aux corinthiens: "Je vous en prie, montrez-vous mes imitateurs" (1 CO 4,16). Ce n'est pas par orgueil individuel, mais parce que lui-même imite Jésus, qui, à son tour, imite le Père. Par opposition au désir mimétique, qui aliène les hommes et les entraîne vers la crise mimétique, c'est une chaîne infinie de "bonne imitation", d'imitation sans rivalité, que le christianisme cherche à constituer et dont les "saints" sont les maillons. 

     

    b) Nous n'avons le choix qu'entre accuser les autres et éprouver de la compassion pour eux?

    http://dilectio.fr/?tag=crise-mimetique

    Pourquoi l'imitation du Christ impliquerait-elle une mise en accusation de ceux qui ne la pratiquent pas demande René Girard? L'imitation du christ n'implique pas ce choix. Ce que le Christ ne fait jamais, c'est la mise en accusation au dépens d'un bouc émissaire pour "tirer son épingle du jeu". Relisons l'évangile de Jean: "Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? C'est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du diable, votre père,et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge. Qui d'entre vous me convaincra de péché? Si je dis le vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu" (Jn 8,83-47). En fait il y a bien deux modèles suprêmes, Satan et le Christ. Le paradoxe, c'est que la vraie liberté est la conversion de l'un à l'autre; autrement, c'est l'illusion totale. Nous sommes libres parce que nous pouvons toujours nous convertir vraiment, c'est à dire refuser de nous joindre à l'unanimité mimétique. Se convertir, c'est en fait se reconnaître persécuteur, se voir soi-même pris dans le processus d'imitation depuis le commencement. Cela signifie choisir le Christ (ou un homme qui ressemble au Christ) comme modèle de nos désirs. Se convertir, c'est découvrir que nous avons imité, sans le savoir, le mauvais type de modèles qui nous entraînent dans le cercle vicieux des scandales et de l'inassouvissement permanent qui aboutissent à la crise mimétique

    liens: http://dilectio.fr/?tag=crise-mimetique (la crise mimétique)

     https://aigueau.wordpress.com/2010/01/18/la-theorie-de-rene-girard-resume (La théorie de René Girard – résumé)

    http://ermrc.pagesperso-orange.fr/Caf%E9th%E9otextes/031Mim%E9tique.htm (René Girard et la théorie du désir mimétique)


    c) Si le mot skandalon signifie "rivalité mimétique", pourquoi les Evangiles l'associent-ils avec Satan et avec le Christ, qui se qualifie lui-même de skandalon (Jn 6,41-42).


    Le mot skandalon signifie "pierre d'achoppement mimétique", quelque chose qui déclenche la rivalité mimétique. Le Christ a annoncé (avant sa passion) qu'il allait devenir un skandalon pour tous les hommes et même pour les disciples. 

    René Girard a écrit dans "Je vois Satan tomber comme l'éclair", que Satan et le skandalon sont une seule et même chose (chapitre III, satan, p. 61). 

    Jésus associe les deux termes quand il annonce la Passion et dit à Pierre: "passe derrière moi Satan! Tu me fais obstacle (skandalon), car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!Mt 16,23).  Le mot skandalon s'applique aussi à la croix lorsque Jésus dit: "Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi"! (Mt11,6). Paul, lui, déclare dans une belle formule: "Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens" (1 Co 1,23).

    La Croix est un skandalon parce que les hommes ne comprendront pas un Dieu faible (cf Nietzsche), subissant humblement ceux qui le persécutent; c'est pourquoi ils trébuchent sur cette idée. Par ailleurs, Jésus et Satan poussent tous deux à l'imitation qui éduque la liberté, parce que nous sommes libres d'imiter le Christ dans un esprit d'humble soumission à son incomparable sagesse, ou au contraire, d'imiter Satan dans un esprit de rivalité. Et le scandalon signifie alors l'incapacité à échapper à l'esprit rivalitaire, un esprit de servitude car il nous agenouille devant tous ceux qui l'emportent sur nous. La prolifération des rivalités est cependant arrêtée par la résolution du bouc émissaire, qui produit à nouveau l'ordre dans la société. Satan expulse alors Satan ce qui stabilise la société mais l'ordre ne peut être que temporaire car l'ordre ne peut être que temporaire et promis à retomber tôt ou tard dans le désordre des scandales. Il s'agit d'une fausse transcendance. 

    La résolution ultime du bouc émissaire n'est-elle pas le Christ skandalon...?

     

    liens: http://girardianlectionary.net/res/skandalon.htm (René Girard and the New Testament Use of skandalon)

    http://www.perspectives-girard.org/discussion-archives/pc2005-01.01-12.31.pdf (Depuis Je vois Satan tomber comme l'éclair, Girard considère le skandalon et Satan comme une seule et une même chose ( Cf aussi p.138-139 dans Les origines de la culture ). Je vous rapporte le passage emprunté à ce livre : ""- Si le mot skandalon signifie "rivalité mimétique", pourquoi les Evangiles l'associent-ils avec Satan et avec le Christ, qui se qualifie lui-même de skandalon ( Jn 6, 41-42 ) ? - Le Christ annonce avant sa Passion qu'il va devenir un skandalon pour tous les hommes et même pour ses disciples, qui VONT PARTICPER PASSIVEMENT A SON EXPLUSION..."" )

    http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20081029.html (La théologie de la Croix dans la christologie de saint Paul par Benoît XVI, audience générale 29 oct 2008)

    http://www.scriptoblog.com/index.php?option=com_content&view=article&id=190:je-vois-satan-tomber-comme-leclair-rene-girard-&catid=52:philosophie&Itemid=55 (je vois Satan tomber comme l'éclair (René Girard))

    http://enpassant-englanant.blogspot.fr/2011/04/en-lisant-rene-girard-satan-sest-fait.html (En lisant... René Girard, Satan s'est fait duper par la Croix)

     

    d) Est-ce en rapprochant Satan du skandalon que le Christ révèle la fausseté des accusations sue lesquelles est fondé l'ordre sacrificiel? Démasque-t-il ainsi la vraie nature de Satan? 

     

    nomana.free.fr:Andromède attachée au rocher par les Néréides

    Oui répond René Girard "Pour le christianisme, on ne devrait pas croire en Satan. Le Credo n'en fait pas mention". Satan est un non-être car, il est finalement l'inconscient du mécanisme du bouc émissaire quand la foule accuse la victime innocente d'être coupable et qu'elle l'assassine ensuite sans remord en pensant qu'elle est coupable. Le système fonctionne par lui-même, comme une machine, une espèce d'immense mannequin (comme Dante représente Satan dans la fosse de l'enfer).

    Le phénomène de rivalité, la rivalité des doubles est perçu depuis toujours comme une sorte de force transcendantale. René Girard signale que dans leurs récits épiques, les indiens l'appellent destin, pour les grecs anciens c'est le moîraHeidegger, lui, parle de schicksal. Satan est ce système mimétique qui n'a pas d'être substantiel mais qui gouverne les relations humaines. Cette notion de destin, qui a tant marqué l'humanité n'est plus présente dans la Bible. Dès le début, Caïn est libre de choisir et Dieu tente de le convaincre de ne pas tuer son frère (LA PAROLE DE DIEU NE DÉTOURNA POINT CAÏN DE TUER SON FRÈRE). Ainsi que l'affirme René Girard, "Nous serons toujours mimétiques, mais nous n'avons pas à l'être de façon satanique, ni à nous engager dans des relations mimétiques perpétuelles. Nous n'avons pas à accuser notre voisin, nous pouvons apprendre à lui pardonner". 


    Souvenons-nous de Marc 12,29-33

    "Jésus lui répondit (au scribe): Le premier de tous les commandements c'est: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. 
    30 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. C'est là le premier commandement. 
    31 Et voici le second qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a point d'autre commandement plus grand que ceux-ci. 
    32 Et le scribe lui répondit: C'est bien, Maître, tu as dit avec vérité, qu'il n'y a qu'un Dieu, et qu'il n'y en a point d'autre que lui; 
    33 Et que l'aimer de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme, et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et les sacrifices".

    C'est ainsi que je conclue mes articles sur "ma lecture" des chapitres relatifs au mécanisme mimétique et au scandale du christianisme du livre de René Girard "LES ORIGINES DE LA CULTURE". Mon prochain article traitera du chapitre L'homme, un "animal symbolique".


    liens: http://profondeurdechamps.com/2013/09/05/satan-un-bouc-emissaire/ (Satan : un « bouc émissaire » ?)

    http://lirephilosopher.canalblog.com/archives/2014/06/17/30090619.html ("Je vois Satan tomber comme l'éclair" René GIRARD)

    http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ETU_966_0773 (girard revisité)

    http://nomana.free.fr/public/bouc-emissaire.html (quelques boucs émisssaires)

    http://scribe.seiya.free.fr/dossier/enfers.htm (LES ENFERS : DE LA DIVINE COMEDIE A SAINT SEIYA voir la fosse 1à10)

    http://leschampsdemaldoror.voila.net/textes/enfer21.htm (l'enfer de dante)

    http://jacques.prevost.free.fr/cahiers/cahier_31.htm (arts et sciences, hommes et dieux. cahier 31 la divine comédie de dante)

    http://remacle.org/bloodwolf/italiens/dante/table.htm (la divine comédie de dante - l'enfer)

    http://jesusmarie.free.fr/augustin_cite_de_dieu_livre_15.html (Saint Augustin d'Hippone La Cité de Dieu - livre 15/22)

     

    Le pandémonium, lieu de satan par Jonh Martin '1825' (musée d'Orsay):

    http://profondeurdechamps.com/2013/09/05/satan-un-bouc-emissaire

     

     



     


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    Les origines de la culture 4) Le scandale du christianisme partie 1

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous avons commencé la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". Je résume et donne dans ces articles ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses

    Dans les articles 3-1 et 3-2 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons analysé le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture. Nous avons conclu que le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous allons voir pourquoi dans cet article qui va s'intituler "Le scandale du christianisme".partie 1

     

    Exergue: "Un essai en hébreu est même paru à son propos, montrant que la théorie est contenue dans l'Ancien Testament!Charles Darwin  autobiographie.

    1) L'anthropologie de la bible.

    Vous développez une nouvelle approche de la Bible et en particulier des Evangiles, que vous étudiez d'un point de vue anthropologique. Vous affirmez qu'il y a dans la Bible une vision anthropologique décisive concernant le mécanisme de la victime, vision qui non seulement révèle, mais aussi refuse le mécanisme mimétique. En ce sens, la source de l'anthropologie mimétique serait dans la Bible.

    paroleetlumiere.blogspot.fr -L’Esprit Saint, souffle vital de l’Église !

    a) L'anthropologie mimétique consiste à reconnaître la nature mimétique du désir, à développer les conséquences de ce savoir, innocenter la victime unique et à comprendre que la Bible et les Evangiles ont fait cela avant nous. Le mythe est contre la victime alors que la Bible est pour elle. Prenons le cas de Job. On assiste à une sorte de procès totalitaire digne de l'inquisition où  les trois "juges" illustrent à la perfection le principe d'unamité contre la victime. Les "amis (?)" de Job essaient de le convaincre qu'il mérite d'être condamné et Job, de temps à autre faiblit au point qu'il est prête à reconnaître qu'il est coupable. Finalement, il se redresse et affirme: "Je sais, moi, que mon défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière" (Job 19,25). Le mot paraclet, qui définit l'Esprit Saint, est lié à ce concept de défenseur (Paraclet (παράκλητος, Parakletos ; en latin "Paraclitus") est un mot d'origine grecque qui signifie « celui qui console », ou « celui qui intercède », l'« avocat »). C'est "l'avocat de la défense" contre l'accusation formulée par Satan, éthimologiquement "l'accusateur" (Satan, en hébreu, signifie "adversaire", "opposant", traduit par épiboulos "comploter contre) dans la septante ou aussi "accusateur", traduit par ho diabolos ("calomniateur", "médisant") dans jb 1,6 sq., Za 3,1)
    Dans Job, les trois amis sont les accusateurs, donc la voix de Satan, voix de l'ancienne religion, de l'ancienne exécution. Mais cette voix est contestée par Job. Dans l'ancien ordre sacrificiel, la crise mimétique était résolue par le déclenchement du mécanisme émissaire, qui polarisait toute la violence sur une seule victime. Ceux qui accusent la victime sont les représentants de Satan, l'accusateur, tandis que dans le nouveau testament, le Christ est la voix du défenseur, qui nous avertit: "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre" (Jn 8,7). On voit là toute la différence entre l'archaïque et le judéo-chrétien dans ces attitudes opposées. 

    Nietzsche en parle, mais dans un tout autre esprit. En fait, il a pris le parti des persécuteurs, même s'il croît penser contre la foule. En effet, l'uninamité dionysiaque est la voix de la foule. Le Christ n'a guère en effet qu'une douzaine d'apôtres de son côté et même ceux-là vacillent. Nietzsche ne perçoit pas la nature mimétique de l'unanimité ni le sens de l'éclairage apporté par le christianisme sur les phénomènes de la foule. Comment pourrait-t-il voir que le dionysaque c'est la foule et que le chrétien (révélé par Jésus) c'est l'exception héroïque.


    b) Pourquoi le phénomène du meurtre fondateur est-il si difficile à établir?

    Le meurtre fondateur est le phénomène (phénomenon signifie "briller", apparaître", "surgir en pleine lumière") qui ne peut apparaître, parce que tout le monde est uni contre la victime s'il a atteint son but, victime qui apparaît, elle, vraiment coupable. Si le meurtre fondateur manque son but, en revanche, si l'unanimité ne se fait pas, il n'y a plus rien à voir. Et donc, pour que le phénomène devienne observable, il faut que les témoins lucides soient très peu nombreux et trop insignifiants pour troubler l'unanimité des persécuteurs. C'est bien le cas de la passion. Les premiers défenseurs de Jésus vont partager son sort et devenir des martyrs, c'est à dire des témoins de la mort du Christ, et en mourant pour la vérité, ils deviennent eux-mêmes des boucs émissaires 

    wikipedia.org -Martyre de 10000 chrétiens: Dürer

    (Martyr vient du grec "martur", "témoin", celui qui est spectateur d'un événement, C'est aussi celui qui prouve la force et l'authenticité de sa foi en suivant jusque dans la mort l'exemple du Christ). Il ne faut pas oublier que Saül, le futur Paul approuvait ce meurtre:  Ac 8:1-"Saul, lui, approuvait ce meurtre. En ce jour-là, une violente persécution se déchaîna contre l'Église de Jérusalem. Tous, à l'exception des apôtres, se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie". Ce n'est que plus tard, qu'il prend conscience d'être un persécuteur après s'être converti au christianisme. Il entend alors la question essentielle: "Je tombai par terre, et j'entendis une voix qui me disait: Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu?" (Ac 22,7). C'est en effet la question cruciale qui nous fait découvrir que nous sommes des persécuteurs sans le savoir car toute participation à un phénomène de bouc émissaire est la même faute que la persécution du christ et tous les hommes commettent cette faute. 

     

     

     c) Le mécanisme mimétique aurait t-il donc à voir avec le  péché originel ? 
    Oui. On peut considérer que le péché originel serait le mauvais usage du mimétisme et le mécanisme mimétique est la conséquense de cet usage au niveau collectif par la désignation du bouc émissaire. En général, les gens ne perçoivent pas le mécanisme mimétique alors qu'ils participent à toutes sortes de rivalités qui sont à l'origine de ce mécanisme.  Il produit une forme de transcendance qui joue un rôle essentiel dans la stabilité des sociétés archaïques. En fait, il est indispensable à la survie et au développement de l'humanité. On retrouve ici l'idée de "transcendance  sociale" de Durkheim, qui d'un point de vue judaïque et chrétien est pure idolâtrie, mais pourtant, c'est ce "sacré illusoire" qui préserve les communautés humaines archaïques de ce qui pourrait les détruire. On le retrouve dans Epître aux Ephésiens 6, 12-13: "Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes...". Même si ces puissances dont parle Paul sont condamnées, il ne faut pas essayer de les détruire par la force, il faut même leur obéir. Le sacré archaïque est "satanique" quand il n'y a rien pour le canaliser et le contenir et les institutions sont là pour faire ce travail tant que le Royaume de Dieu ne triomphe pas.
    liens: cairn.info -L'idée de vérité chez René Girard

    2) Mythe et monothéisme.

     

    mythe.canalblog.com -le mythe d'oedipe


    a) Le fait que le judaïsme et le christianisme soient des religions monothéistes est-il fondamental dans la réécriture qu'ils opèrent du mythe et du sacré antique?

    wikipedia.org -Révélation

    Oui, car le Dieu du monothéisme est complètement "dévictimisé". Dans le monde archaïque,  chaque fois que le mécanisme du bouc émissaire fonctionne, un nouveau dieu surgit. C'est pourquoi le polythéisme possède beaucoup de fondations victimaires qui révèlent des divinités fausses, inexistantes, mais protectrices en raison de l'ordre sacrificiel qu'elles font respecter. 

    Remarque concernant le passage du polythéisme au monothéisme: au tout début de la Genèse (Gn 1,1), le mot utilisé pour désigner Dieu est Elohim, qui est la forme plurielle de la racine eloh, qui fait normalement référence au divin. Elle vient elle-même d'une racine plus ancienne, el, qui signifie Dieu, la déité, la puissance, la force... L'utilisation du pluriel dans la nom de Dieu et l'ambiguïté de son étymologie (le terme eloh {alef-lamed-heh}est la racine du verbe "jurer" ou "faire serment" aussi bien que du verbe "déifier" ou "vénérer") semblent être une preuve de la nature sacrificielle de la déité originelle, qui présente le caractère d'être à la fois maudite et déifiée, comme c'est toujours le cas des victimes du mécanisme de bouc émissaire, qui sont à la fois le mal suprême, puisqu'elles sont responsables de la crise, et le bien suprême, puisqu'elles restaurent la paix. L'origine de la culture est sacrificielle et la Bible comporte cet élément à son début. Et si le texte biblique commence par une référence explicite à la religion archaïque du polythéisme, il passe en meme temps à la nouvelle religion monothéiste de Yahvé. D'ailleurs le mot Yahvé, sans doute d'origine mosaïque, apparaît dans Gn 2,4, et se retrouve dans toute la version hébraïque de l'ancien testament. Cependant, le mot disparaît dens le nouveau testament. La venue du Christ apporte un énorme changement dans la relation de Dieu avec son peuple. A partir de là, Dieu est vu uniquement comme le Père de tous les vrais croyants, juifs aussi bien que gentils sans qu'aucune distinction soit faite entre eux, comme l'explique Paul (Rm 10,12).

    Depuis le commencement, le judaïsme est le refus absolu de la machine à fabriquer les dieux. Dieu n'est plus jamais victime, et les victimes ne sont plus divinisées: c'est la RévélationHistoriquement, la Révélation a lieu en deux phases. Dans la première, il y a un passage du mythe à la bible, passage où Dieu est dévictimisé et les victimes dédivinisées. Dans la deuxième phase, vient ensuite la Révélation évangélique où Dieu participe à l'expérience de la victime, mais délibérément cette fois, pour libérer l'homme de sa violence. On voit apparaître la victime pour la première fois dans l'ancien testament. Elle est seule innocente au sein d'une société devenue, elle, coupable. C'est ainsi que Joseph est un bouc émissaire réhabilité, entouré d'une aura d'humanité où le récit biblique possède un réalisme qui est absent dans les mythes. Dans cette Egypte historique, Joseph apparaît comme le bouc émissaire de ses frères qui sont jaloux de lui (Gen 37,11). Puis il est condamné par les Egyptiens dans l'affaire Putiphar, mais ici encore, le texte nous dit qu'il n'est pas coupable puisque c'est la femme de Putiphar qui voulait faire de lui son amant (Gen 39,7): A voir: deborahfontana69.centerblog.net -la femme de Potiphar et bldt.net -Joseph et la femme de Putiphar  

    Il est à noter que le texte hébraïque réhabilite sans cesse Joseph et les situations se résolvent de façon contraire à celle du mythe d'oedipe (Voir II: D’Œdipe à Joseph : figure du coupable, figure de la victime: "[...] en confrontant le mythe d’Œdipe à l’histoire du héros biblique, il ressort que les deux histoires se ressemblent, mais qu’elles livrent des leçons opposées).  De même, le mythe d'oedipe n'est pas le seul à être contredit par l'histoire de Joseph car c'est la structure même du mythe qui est contraire au message biblique. Dans le mythe, à la question: "le bouc émissaire est t-il coupable?"  la réponse est toujours "oui". Jocaste et Laïos ont raison de chasser Oedipe, puisqu'il va commettre le parricide et l'inceste. Le héros est accusé à tort, mais le récit mythique confirme toujours sa culpabilité. Dans le cas de Joseph et du récit hébraïque, tout fonctionne en sens inverse. La question est la même, mais la réponse révèle un monde entièrement différent. Il y a une opposition fondamentale entre les textes bibliques et les mythes. Le mythe accuse et dit qu’on a raison d’expulser le responsable, Œdipe ; la Bible dit non, Joseph n’est pas responsable et en plus il permet de résoudre la crise en anticipant la famine. Le mythe est donc complice de la violence collective, la Bible non (voir partie II D’Œdipe à Joseph).


    liens: carnetsdusiecle.hautetfort.com -René Girard : Révélation évangélique

    fangpo1.com -Yahvé Dieu terroriste

    leconflit.com -Le violence et le sacré de rené girard (oedipe revisité)
    rene.pommier.free.fr -Œdipe enfin disculpé grâce à René Girard

    crdp.ac-paris.fr -Joseph ou le renoncement à la convoitise

     

     

     

     

    wikipedia.org -Benjamin_(Bible)

    b) Peut-on dire que la Bible réécrit toute l'histoire des mythes et qu'elle inclut par là-même un élément d'intertextualité par rapport 
    On n'a pas à passer par l'intertextualité pour tous les récits bibliques, mais ici l'histoire de Joseph est exemplaire est exemplaire en ce sens qu'elle est effectivement la réécriture d'un mythe, qui va contre l'esprit mythique parce qu'elle repésente l'esprit mythique comme une source de mensonge et d'injustice. Ce problème apparaît parfois de façon latente dans la conscience de certains poètes tragiques tels Sophocle lorsqu'il suggère que de nombreux assassins ont tué Laïos (passage que les critiques s'abstiennent en général de commenter): Oedipe pose dans ce passage d'oedipe Roi une question précise: comment un et plusieurs peuvent t-ils être la même chose? ("[...]ce sont des brigands, à ce que tu déclarais, qui selon lui [un témoin], ont assassiné Laïos. Eh bien, s'il maintient ce pluriel, ce n'est pas moi l'assassin: un et plusieurs, cela ne saurait revenir au même. Mais s'il ne parle que d'un seul homme, d'un voyageur solitaire, la chose est claire, dès lors, et c'est sur moi que cela retombe. Sans le comprendre sans doute, Sophocle définit pourtant là le principe du bouc émissaire. Il semble en avoir conscience et deviner la vérité, mais il ne l'exprime pas aussi clairement que les rédacteurs de la Bible. Comme il écrit à une époque où l'immersion dans le cadre mythique, qui veut que le mythe soit raconté toujours de la même façon, est quasi totale, peut-être eût-il été lynché s'il avait supprimé la mise à mort?
    Au contraire, l'histoire biblique change la fin et le dernier épisode prouve que l'histoire de joseph porte bien sur le rôle du bouc émissaire. Joseph accueille ses frères qui viennent de Palestine et demandent du grain, il leur en donne. Ils ne reconnaissent pas Joseph habillé en grand seigneur égyptien, mais Joseph, au contraire, les reconnaît. Il leur donne du blé et dit "Prenez le grain dont vos familles on besoin et rentrez chez vous, mais la prochaine fois, ramenez-moi votre plus jeune frère et je saurai que vous n'êtes pas des espions mais que vous êtes sincères." (Gn 42,33-34). En effet, ils n'avaient pas amené Benjamin, le plus jeune des fils de Jacob, qui est leur demi-frère et le fère de Joseph (ce sont les deux derniers fils). Ils partent mais reviennent lorsque la faim les tenaille à nouveau, mais cette fois-ci avec Benjamin. Avant leur retour, Joseph demande à un de ses serviteurs de cacher une coupe précieuse dans le sac de Benjamin. A la frontière, on les fouille, on trouve la coupe et on les arrête. Joseph dit: "l'homme aux mains duquel la coupe a été trouvée sera mon esclave, mais vous, retournez en paix chez votre père." (Gn 44,17). Il leur offre en fait, de se tirer d'affaire au dépens de leur plus jeune frère, tout comme ils s'étaient débarassés de lui-même, Joseph. Benjamin joue donc ainsi le rôle de bouc émissaire. Les frères acceptent tous, sauf Juda qui dit: "Maintenant, que ton serviteur reste comme esclave de Monseigneur à la place de l'enfant et que celui-ci remonte avec ses frères. Comment en effet pourrais-je remonter chez mon père sans que l'enfant soit avec moi? [...] (Gn 44,33-34). Emu par ce dévouement, Joseph pardonne alors à tous et leur propose de s'installer en Egypte, avec leur père.
    On voit là le renversement des boucs émissaires opéré par le texte biblique par rapport aux textes mythiques où le thème du pardon accordé à ceux qui ont désigné le bouc émissaire apparaît à la fin. Cette fin effectue une relecture des textes mythiques, qui innocente la victime au lieu de la condamner (la coupe est placée dans les bagages de Benjamin, qui est en fait la figure de Joseph). Dans le mythe, au plus fort de la crise mimétique, quand une victime est choisie comme bouc émissaire, on utilise une fausse preuve afin de démontrer qu'elle est réellement coupable. L'histoire de Joseph montre bien avec sa conclusion que la lecture de cette histoire dans la perspective du bouc émissaire est la bonne. Cette éternelle histoire de la violence collective, au lieu d'être racontée de façon non critique, mensongère, comme dans la mythologie, est racontée dans sa version véridique, comme cela sera encore une fois le cas dans la Passion du Christ. C'est pourquoi le christianisme traditionnel voit en Joseph une figura Christi.René Girard affirme "c'est anthropologiquement, scientifiquement vrai."

    c) D'ailleurs le Judas de cette histoire est l'ancêtre biblique du Christ.

    wikipedia.org -Sermon_sur_la_montagne

    Oui c'est vrai. Judas annonce le Christ parce qu'il consent à être pris comme bouc émissaire à la place de son frère fin de le sauver. Auparavant, la Bible avait montré l'adoucissement du sacrifice sanglant, dans le sacrifice annulé d'Isaac, avant d'en proclamer la fin, avec le Christ. "Voici le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste?" avait demandé Isaac à son père. la réponse d'Abraham est extraordinaire: "Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau pour l'holocauste." Gen 22,7-8. C'est une allusion prophétique au Christ en ce sens qu'il se sacrifiera lui-même pour en finir à jamais avec toute violence sacrificielle. C'est en même temps le renoncement au  sacrifice de l'enfant , partout sous-jacent dans les débuts bibliques, et son remplacement par le sacrifice animal. Plus tard cependant, dans la littérature prophétique, les sacrifices animaux ont perdu leur efficacité: "Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation, tu m'as ouvert l'oreille, tu n'exigeais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit: Voici, je viens.(Ps 40 (39),7. Donc, la Bible apporte non seulement le remplacement de l'objet qui doit être sacrifié, mais la fin de l'ordre sacrificiel lui-même, grâce à la victime consentante, le Christ.  Mais pour se libérer du sacrifice, il faut renoncer aux représailles mimétiques, "tendre l'autre joue." En effet, la rôle du mimétisme est tel dans la violence humaine que les recommandations de Jésus dans le Sermon sur la montagne n'ont rien de masochiste et ne sont pas excessives. Elles sont réalistes, compte-tenu de notre tendance presque irrésistible aux représailles. Dans la Bible, l'histoire du peuple élu apparaît comme une tendance à la rechute constante dans le mimétisme violent et ses conséquences sacrificielles comme dans l'épisode où le peuple de Moïse est prêt à le tuer, lui et Aaron, à l'unanimité: "Toute l'assemblée parlait de les lapider, lorsque la gloire de l'Eternel apparut sur la tente d'assignation, devant tous les enfants d'Israël." (Nb 14,2-10).


    d) C'est à ce moment que la révélation et le monothéisme se seraient opposés au phénomène du bouc émissaire et au polythéisme?                                                                    On ne peut parler d'opposition car une opposition serait mimétique, mais il s'est produit quelque chose de plus puissant à la longue: le phénomène d'acceptation qui est aussi la révélation. La thèse de Freud, selon laquelle, en fin de compte, Moïse a été assassiné, est certainement profonde et authentiquement biblique (L'homme Moïse et la religion monothéiste). Freud s'est appuyé sur une légende juive racontant que Moïse a été tué. Se doutait t-il que des rumeurs analogues existent au sujet de Romulus, Zoroastre et de la plupart des fondateurs des religions. Zoroastre aurait été tué par les défenseurs du sacrifice qui auraient voulu le punir pour son opposition à cette institution.  Freud n'a jamais fait le lien entre toutes ces histoires qui se ressemblent et c'est peut-être pour cela qu'il n'a jamais découvert le mécanisme du bouc émissaire ou, comme Darwin, il manifeste la laïcisation de 19ème siècle scientiste qui refuse dèjà le message biblique.. 

                                      

    liens: wikipedia.org -Zoroastrisme

    classiques.uqac.ca -Moïse et le monothéisme par sigmund freud (1939)

    amazon.fr -L'homme Moïse et la religion monothéiste

    jeanzin.fr -Moïse et le monothéisme

    therapiesenligne.be -Sigmund FREUD (1912) TOTEM et TABOU


    e) Si dans le récit biblique, la culture est déterminée par un péché originel, les Evangiles apportent t-elles une réinterprétation radicale de cette origine, interprétation qui suggère une alternative?  Peut-on dire que le nouveau testament est une relecture non seulement des mythes, mais aussi de l'ancien testament?

    Il ne faut pas parler de réinterprétation, mais de révélation. Elle consiste à reproduire le mécanisme victimaire, mais en en montrant la vérité: la victime est innocente et tout repose sur le mimétisme. Dans les évangiles, où le point central est la Passion et la crucifixion, Jésus est innocent. L'imitation de la foule, le mimétisme collectif, la contagion violente, c'est là la vraie cause du reniement de Pierre, de la conduite de Pilate ou celle du mauvais larron. Tout repose sur une unanimité mimétique et fallacieuse. Cette vérité discrédite non seulement ceux qui ont crucifié Jésus, mais tous les faiseurs de mythes de l'histoire humaine. Par ailleurs, on peut constater une forte continuité entre l'ancien et le nouveau Testament. L'ancien Testament contient un certain nombre de drames qui racontent le meurtre de la victime unique. Le premier grand exemple est l'histoire de Joseph que nous avons examinée dans le chapitre 2 b). Si elle était mythique, elle prendrait le parti des frères contre Joseph. Elle fait l'inverse. Il en est de même de l'histoire de Job dans les chants du serviteur souffrant.

     

    wikipedia.org -le sacrifice d'Isaac

    f) Dans le christianisme, la victime qui sauve la communauté est le Christ. 

    Si Jésus sauve les hommes, c'est parce que sa révélation du mécanisme du bouc émissaire en privant de protection sacrificielle oblige les hommes à s'abstenir de plus en plus de violence pour survivre. Pour atteindre le Royaume de Dieu, l'homme doit renoncer à la violence. Mais, toutes les communautés humaines ont rejeté et rejettent l'offre du Christ, rejet qui avait déjà commencé avec sa propre communauté lors de la crucifixion. Et ce rejet se poursuit maintenant partout et semble-t-il de plus en plus. Le Prologue de l'évangile de Jean dit pourtant: "Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu. Il es venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli et [...] la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue(Jn 1,10-11  et 5). Mais, nous pouvons pourtant individuellement faire de notre mieux pour imiter Jésus: "Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.(Jn1,12). C'est l'idée du salut personnel, qu'on atteint à travers l'esprit du Christ et du Père, révélée avec la Croix qui a permis de rétablir une communication entre l'homme et Dieu, relation qui avait été interrompue par le  péché originel .

    Dans l'Ancien Testament, on trouve encore beaucoup de violence. Dans les Juges, et autres livres historiques, la violence mythique de la communauté contre les victimes émissaires est encore valorisée. Dans les Psaumes, il y a aussi la haine exprimée par la victime, haine suscitée par le désespoir de celui que ses voisins ont choisi, sans raison objective, pour jouer le rôle de bouc émissaire. Dans de nombreux systèmes religieux, le passage du sacrifice humain au sacrifice animal reste subreptice, alors que dans la Bible, il est souligné et glorifié, traduisant un adoucissement historique du sacrifice. De telles étapes sont soulignées dans des scènes extraordinaires, comme le sacrifice d'Issac, remplacé in extremis par un bélier, ce qui marque la fin des sacrifices humains et en particulier celui du fils aîné.

    lienshal.archives-ouvertes.fr -thèse sur la violence (mythique)

     

    g) Ne pensez-vous pas que vos lecteurs peuvent être déconcertés par votre lecture de l'histoire, qui rappelle sur certains points la tradition médiévale de l'interprétation figurale?

    Oui, mais la théorie mimétique redresse ce figural en montrant qu'il porte sur l'essentiel, c'est à dire la violence, non pas la violence divine, mais la violence humaine. Si nous revenons à SophocleOedipe-Roi, même s'il était interprété comme "la passion d'oedipe", comme une figura dont le Christ serait le consumatio (en quelque sorte l'accomplissement), était déjà perçu comme une victime, un innocent qu'on faisait souffrir, une préfiguration des souffrances de Jésus. C'est là une lecture la plus profonde, qu'on ne pouvait certes pas formuler dans le langage théorique que nous utilisons actuellement, mais c'était la bonne intuition car elle pressentait l'innocence de la victime et que Freud n'a pas vue, car il a pris à tort, le parricide et l'inceste comme des vérités. C'est là que s'est engendré un renouveau moderne du mythe parce que Freud croyait, ce qui était faux, qu'oedipe était coupable psychologiquement, même s'il ne l'était pas réellement. Il nous a en fait fait régresser vers une compréhension mythique des structures socio-psychologiques. 

    L'interprétation figurale a certainement des répercussions importantes dans le domaine religieux. Cette question de la représentation est importante: le mythe décrit le mécanisme tel qu'il apparaît à ceux qui réussissent à le faire fonctionner parce qu'ils ne perçoivent pas la nature de son fonctionnement et qu'ils sont les dupes inconscientes du processus. La Bible, qui considère le même mécanisme avec du recul, représente pleinement le mécanisme mimétique et peut donc en révéler la nature, du fait qu'elle voit l'essentiel, l'innocence de la victime émissaire.        

    liens:  pdf.aminer.org -DE L'AMBIGUÏTÉ FIGURALE


    h) dans le premier chapitre de MimesisAuerbach propose une merveilleuse analyse de la différence entre les mentalités des cultures grecques et hébraïques en comparant l'Odysée d'Homère avec l'histoire d'Issac dans la bible. 

    encore une fois, chez homère, les héros restent dans le cadre mythique où le destin est fixé d'avance, et dans ce cadre, la victime est coupable avant même d'être divine, ce que  Auerbach, pas plus que les autres ne peut voir. Cependant dans Mimesis montre que notre mentalité moderne doit beaucoup plus aux récits biblique qu'à Homère. En effet; il y a dans la Bible une conscience de la dimension temporelle qui n'est pas présente chez Homère où la complexité psychologique des personnages est limitée, passant par alternance d'émotions et d'appétits alors que la Bible expose les divers plans de conscience et le conflit qui apparaît entre eux. 


    i) Dans "Figura", Auerbach affirme que Paul a été le premier à appliquer l'interprétation figurale aux textes bibliques. Pourtant vous semblez dire  que la structure même de l'Ancien Testament est figurale.

    Elle est plutôt prophétique, les prophètes se réfèrent déjà à des textes bibliques antérieurs pour discréditer la désignation violent et arbitraire du bouc émissaire. C'est le cas en particulier de Isaï 2,40-55, "le livre de la consolation d'Israël". Ce livre commence par la description d'une crise; où toutes les montagnes sont abaissées et toutes les vallées comblées

     Isaï 40, 3-4: « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toutes montages et collines abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine, et les escarpements en large vallée.»

    Pour les exégètes, il s'agit de la construction d'une route pour Cyrus, le roi de Perse qui a libéré les juifs de l'exil. Ne s'agit-il pas en réalité d'une figura de la crise sacrificielle, du processus d'indifférenciation violente? En effet, il n'y plus de différence entre les montagnes et les vallées. De plus, ce passage est cité par Jean-Baptiste au début de chacun des quatre évangiles, ce qui signifie que Jésus surgit au paroxysme d'une crise, qui appelle la désignation d'un  nouveau bouc émissaire, qui sera précisément Jésusvoir Mt 3,3 ("Jean est celui qui avait été annoncé par Ésaïe, le prophète, lorsqu'il dit : C'est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers") puis Marc 1,1-3Lc 3,4Jn 1,23. Ce sera Dieu l'occasion de se révéler.

    La notion de prophétie suppose le retour permanent aux crises antérieures qui permettent de prévoir leur résolution victimaire. Par exemple, dans les Evangiles, on trouve la phrase significative des PsaumesPs 109,3"Ils me haïssaient sans raison" ou ps 35,19: "que ne puissent rire de moi ceux qui m'en veulent à tort, ni se faire des clins d'oeil ceux qui me haïssent sans cause." C'est là la plainte de la victime d'un temps ancien, qui comprend qu'elle est choisie au hasard qu'elle est bouc émissaire. Ceci s'applique au Christ, qui est haï sans cause, quand tout le monde se met à imiter la foule de ses ennemis: et Pilate imite la foule par peur, ainsi que Pierre. Le livre de Job constitue lui aussi comme un immense Psaume, dans lequel la victime s'adresse à ceux qui s'apprêtent à le tuer, affirmant qu'il n'est pas coupable et que la foule va tuer un innocent ("Ils me haïssent sans raison.").

    Il faut reconnaître que dans les mythes, il y a toujours une bonne raison semble t-il, que ce soit dans le style parricide ou inceste, pour haïr la victime, mais en réalité, cette raison est illusoire, inexistante. Tout est dans la contagion mimétique, au paroxysme d'une crise toujours déjà mimétique. 

    Liens: communio.fr -Jésus bouc émissaire

     

    j) C'est pourquoi la victime est au coeur du texte biblique: Dieu lui-même sera la victime censée mettre fin à l'usage des victimes. Votre lecture (celle de René girard) montre que le texte se déconstruit dans cette réinterprétation des récits mythiques, mais il n'en conserve pas moins son centre, la victime. 

     

    menestreletgladiateur.blogspot.fr -Michaël Jackson ou l’idole d’un religieux archaïque planétaire

    En effet, la religion archaïque et le christianisme possèdent une structure similaire. Dans les religions, même les plus archaïques, l'homme a toujours vénéré ses propres victimes innocentes, mais sans s'en rendre compte. On peut dire que l'unité des religions se trouve dans le fait qu'elle se focalise sur la vénération de la victime. Certes, le Dieu du christianisme n'est pas le Dieu violent de la religion archaïque, mais le Dieu non violent qui accepte de devenir une victime pour nous libérer de nos violences.
    La découverte de l'innocence de la victime dérange puisque c'est en même temps la découverte de notre culpabilité. L'enseignement du message christique à travers la diffusion des Evangiles est aussi important que la révélation même. Cela permet de transformer le monde, non pas de façon brutale, mais graduellement, par assimilation progressive du message, qui s'arrange souvent pour se retourner contre le christianisme dès la philosophie des Lumières et surtout dans l'athéisme contemporain, qui est d'abord une protestation contre le religieux sacrificiel. 

    liens: menestreletgladiateur.blogspot.fr -Michaël Jackson ou l’idole d’un religieux archaïque planétaire
    lemonde.fr -La religion contre le sacrifice, par Michel Serres

    Ici s'achève la partie 1 de cet article, "Le scandale du christianisme". Dans la partie 2, nous examinerons la Révélation et les religions orientales puis l'espace non sacrificiel et l'Histoire de la conscience sacrificielle. et nous terminerons l'article sur "celui par qui le scandale arrive".

     


    En complément à cet article, on peut noter qu'entre critique littéraire, théologie et anthropologie, René Girard révèle les liens unissant la violence et le religieux, et construit une « science des rapports humains ».  A cet égard, citons l'article de philosophie magasine qui illustre assez bien l'actualité: « L’accroissement de la puissance de l’homme sur le réel m’effraie »


  • Les origines de la culture 3-2) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique partie2

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Exergue: "J'avais enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler". Charles Darwin autobiographie.

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous commencerons la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". 

    Je résume et donne ici ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses. Et dans l'article 3-1 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons commencé à analyser le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture, ce qui nous a fait aboutir au mythe de Prométhée. Poursuivons cette démarche.


    1) La méconnaissance.

       

    manuelantoine.blogspot.fr -Œdipe girardien ,Œdipe freudien et la méconnaissance

     

     

     a) "Pour souligner la continuité structurelle des phénomènes sociaux dont nous venons de parler [...], nous pouvons dire que, de même que le désir mimétique n'est pas une invention moderne, le mécanisme du bouc émissaire ne se retrouve pas seulement dans les rituels primitifs ou les socités anciennes; il est aussi présent dans notre monde moderne.

    Le désir mimétique, qui semble fermement attaché à l'objet qu'il est décidé à se procurer et à aucun autre, se montre en réalité vite opportuniste et se fixe alors sur ce qu'il trouve. Les gens qu'il tourmente se focalisent paradoxalement sur des modèles et des adversaires de substitution. Il y a un déplacement de ce type dans l'âge des scandales que nous vivons et qui s'aggrave. Tout grand scandale collectif vient d'un skandalon entre les deux "prochains" bibliques, plusieurs fois multiplié. Il faut rappeler que dans les Êvangilesskandalon signifie rivalité mimétique. Ce scandalon, ambition vide, antagonisme, agressivité réciproque et les mauvais sentiments que chacun ressent envers l'autre vient de la simple raison que nos désirs se trouvent souvent frustrés. Avec les possibilités de la technologie moderne d'internet et de la télévision, ce scandalon à petite échelle a tendance à devenir opportuniste et rejoint le vaste scandale des médias, se confortant dans le fait que que l'indignation individuelle est partagée par beaucoup de monde. La mimésis, au lieu d'aller seulement dans la direction de notre propre voisin, notre prochain, notre rival mimétique personnel, dévie latéralement et s'amplifie au point de créer les symptômes d'une crise grandissante, d'une contagion croissante, souvent exponentiellement. Le plus grand scandale engloutit les plus petits jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul scandale et une seule victime. Et c'est à ce moment que le mécanisme du bouc émissaire refait surface. "L'animosité de chacun vis à vis des autres, à cause de la taille toujours plus grande des groupes en état de rivalité mimétique devient de plus en plus grande et elle culmine en un énorme retentissement contre un élément pris au hasard dans la société". Depuis plus d'un siècle, les exemples ne manquent pas, le capitaine Dreyfus à la fin du 19èmè siècle; les Juifs sous le nazisme en Allemagne, les émigrants d'Afrique en Europe, les musulmans lors d'événements terroristes...Le phénomène de rivalité mimétique aboutissant à à désigner et choisir un bouc émissaire a même tendance à s'amplifier et semble se généraliser. Partons d'un exemple littéraire avec le Jules César acte II sc. 1 de Shakespeare qui décrit le recrutement mimétique des conspirateurs. L'un d'eux, Ligarius, est devenu fou, il dit n'importe quoi. Il oublie tout le reste, parce qu'il a maintenant un seul point fixe vers lequel diriger sa haine (voir Le Pro Q. Ligario Oratio de Cicéron en Latin). Quel progrès! Ne retrouve t-on pas ce que la politique devient de plus en plus? "L'esprit partisan" n'est en fait rien d'autre que le fait de choisir le même bouc émissaire que ses voisins. Et cet état d'esprit a tendance à se généraliser à tous les domaines, aux médias et au spectacle... Les affaires récentes traduisent ce phénomènes et aboutissent au sacrifice et à une certaine mise à mort des victimes pour des raisons apparemment justifiées comme pour l'affaire Strauss Kahn. Cependant, à cause de la Révélation Chrétienne de l'innocence fondamentale des victimes et de  l'arbitraire de l'accusation lancée contre elles, la polarisation de la haine est dévoilée et la résolution d'unanimité échoue, mais les dégâts restent considérables et climat de suspicion voire de haine est auto-entretenu par les moyens modernes médiatiques et la puissance d'internet. 

    En résumé, avant l'arrivée du judaïsme et du christianisme, le mécanisme du bouc émissaire était accepté et légitimé d'une manière ou d'une autre, du seul fait qu'il était inconnu. Il réussissait à ramener la paix dans la communauté alors qu'on se débattait en plein chaos mimétique. Toutes les religions archaïques fondent leurs rituels sur justement sur la réitération du meurtre fondateur. Cela veut dire qu'elles considèrent le bouc émissaire comme responsable de cette crise. Le christianisme, au contraire, par la figure de Jésus, dénonce le mécanisme du bouc émissaire: c'est le meurtre d'une victime innocente, tuée afin de ramener à la paix une communauté violente. Le mécanisme du bouc émissaire est pleinement révélé. Mais on voit qu'il subsite tout de même et fait toujours des ravages considérables. 
      
    liens: evangile-partage.over-blog.net -partage de l'évangile au quotidien (blog de claude tresmontant)
    res-systemica.org -Généalogie de la violence Essai d'interprétation systémique à partir de l'œuvre de René Girard
    laposso.philo.free.fr -Le désir de platon à deleuze en passant par spinoza

     

        

    dame-licorne.pagesperso-orange.fr -La passion du Christ

     b)  Ceci nous ramène à la méconnaissance (concept central de la théorie mimétique de rené Girard): "Le processus sacrificiel demande un certain degré de méconnaissance". Si le mécanisme du bouc émissaire doit amener la cohésion sociale, alors l'innocence de la victime doit être cachée d'une façon qui permette à la communauté toute entière d'être unie dans la croyance que la victime est coupable. Comme on vient de le voir, dès que les acteurs du processus en comprennent le mécanisme, savent comment il fonctionne, celui-ci s'effondre et ne peut plus réconcilier la communauté.  Henri Atlan reproche à René Girard de présenter cette proposition fondamentale non comme un problème mais comme une évidence.

     

    Il faut certainement insister plus sur le caractère inconscient du désir mimétique. Prenons le cas par exemple, de l'affaire Dreyfus. Imaginons un français de 1894 qui pense fermement que Dreyfus est coupable, en même temps qu'il a des inquiétudes sur l'armée et les allemands. Mais si soudain ce français est convaincu que Dreyfus est innocent, son confort d'esprit, la juste colère qu'il tire de la culpabilité de Dreyfus, ne pourront alors plus se perpétuer, ils vont être détruits. Ce n'est pas la même chose d'être contre Dreyfus ou d'être pour lui. c'est ce problème de conscience que Atlan ne voit pas bien dans la pensée de Girard. De même certains critiques on dit que s'il avait une religion du bouc émissaire, ce ne pouvait être que le christianisme, puisque les évangiles parlent explicitement de ce phénomène. Mais c'est justement parce que Jésus est représenté comme un bouc émissaire que le christianisme, en tant que religion, ne peut être fondé sur le processus du bouc émissaire  et qu'il est au contraire, la dénonciation. La raison devrait être évidente: si on pense que le bouc émissaire est coupable, on ne va surtout pas l'appeler bouc émissaire. Si la France a choisi Dreyfus comme bouc émissaire, personne ne reconnaîtra dans cette affaire le rôle qu'elle fait jouer à Dreyfus et tout le monde se contentera de dire: "DREYFUS  EST COUPABLE!". Mais dès qu'on reconnaîtra l'innocence de la victime, on ne plus user de violence envers elle et le christianisme est justement une façon de dire de façon explicite que la victime (jésus) est innocente. On voit le rôle clé de la méconnaissance dans le processus du bouc émissaire, même s'il est paradoxal. Elle permet à chacun de garder l'illusion que que la victime est réellement coupable et par là même mérite d'être punie. Pour avoir un bouc émissaire, il faut ne pas voir la vérité, et donc ne pas se représenter la victime comme un bouc émissaire, mais comme un homme justement condamné. C'est ce que fait la mythologie avec par exemple, le patricide et l'inceste d'oedipe, censés être réels. Finalement, avoir un bouc émissaire, c'est donc ne pas savoir qu'on l'a.


         

    iicgrenoble.esteri.it -PROCES A JULES CESAR

     c) Dans le Jules César de Shakespeare, il y a ce discours de Brutus dans lequel ce principe est deux fois formulé dans: "Soyons des sacrificateurs, pas des bouchers, Caïus", "[...] L'homme du commun verra dans notre geste une purge, non un meurtre.." Comment l'analysez-vous?
    Pour René Girard, Brutus exalte la différence entre la violence légitime du sacrifice et la violence illégitime de la guerre civile. Mais comment se rendre crédibles comme sacrificateurs lui et ses compagnons? Pour faire bien ce qu'il fait il doit soutenir qu'il ne s'agit pas d'un meurtre. ce qui démasque la méconnaissance indispensable au meurtre du bouc émissaire. Shakespeare montre dans ce texte étonnamment perspicace une compréhension du sacrifice bien supérieure à celle de l'anthropologie moderne. 

     


         d) Pourquoi avez-vous opté pour le terme de "méconnaissance" plutôt que pour le mot "d'inconscience?"

    Pour René Girard, le mot d'inconscient "entraîne tout le fatras freudien". "J'utilise le terme méconnaissance parce qu'il est absolument certain que le mécanisme du bouc émissaire méconnaît sa propre injustice sans ignorer pourtant qu'il est meurtre."  La nature inconsciente (même si ce n'est pas le terme utilisé de la violence sacrificielle est bien révélée dans les textes du nouveau testament, en particulier dans Luc (Lc 23,34): "Père, pardonne leur: ils ne savent pas ce qu'ils font", phrase qu'il faut prendre au pied de la lettre. De même, dans les Actes des ApôtresPierre, s'adressant à la foule qui a participé à la crucifixion, lui dit: "Et maintenant, frères, je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs." (Ac 3,17). Pour les anciens grecs, le mot ignorance signifie vraiment "ne pas savoir", qu'on pourrait traduire aujourd'hui par inconscient. Il y a un manque de conscience dans le processus du bouc émissaire, et ce manque de conscience est aussi essentiel que l'inconscient chez Freud, mais il ne s'agit pas de la même chose. c'est un phénomène plus collectif qu'individuel.

    René Girard critique le concept de l'inconscient chez Freud parce qu'il est hostile à l'idée d'un appareil psychique identifiable. La notion d'inconscience est indispensable, mais celle de l'inconscient qui serait comme une "boite noire" s'est révélée trompeuse et il refuse d'enfermer cette notion dans un inconscient qui ait sa vie propre, dans le style de Freud. 

     

    liens: wikipedia.org -Inconscient
    pourlascience.fr -La puissance de l'inconscient
    psychiatriinfirmiere.free.fr -CONSCIENT / INCONSCIENT / PRÉCONSCIENT / SUBCONSCIENT
    causefreudienne.net -L'inconscient freudien
    philolog.fr -Freud ou l'hypothèse de l'inconscient psychique
    lionel.mesnard.free.fr -L'inconscient humain et Sigmund Freud
    philocours.com -L'INCONSCIENT : "le moi n'est pas le maître dans sa maison"

     

    2) La mimésis culturelle et le rôle de l'objet.

         a) Après cette explication générale du désir mimétique, revenons au rôle de l'objet dans la théorie. Vous avez dit que, dès qu'un appétit devient un désir, qui est une construction entièrement sociale, il est contaminé par le modèle. Pourtant dans la théorie du désir mimétique, il semble qu'il y ait peu de place pour les besoins fondamentaux.

    talent.paperblog.fr -crime et châtiment; de goya à picasso

    Appétit n'implique pas imitation. On n'imite personne si on besoin de respirer quand on étouffe ou si on marche dans un désert à la recherche d'eau, c'est physiologique. Mais dans notre monde tous les modèles sociaux et culturels proclament ce qui est "à la mode" en matière de nourriture ou de boisson. Tous nos appétits sont infléchis par des modèles que nous suivons mimétiquement et paradoxalement ils nous donnent ils nous donnent l'impression d'être nous-mêmes et personne d'autre. Mais quand la société devient cruelle,  et sauvage, la violence peut prendre sa source dans le besoin pur et on ne peut pas exclure la possibilité d'une violence étrangère au désir mimétique, là où le nécessaire fait défaut. Cependant, même pour les besoins de base, quand une rivalité se met en place à propos d'un objet, elle se charge de mimésis et une certaine médiation sociale entre toujours en jeu. On peut penser, comme jusqu'à une période récente le pensaient  les marxistes, que le désir mimétique apparaît seulement dans les classes aisées, comme un luxe ou un passe-temps aristocratique. C'est un luxe, que seuls les nobles tels l'Hidalgo Don Quichotte, pouvaient se permettre avant le monde moderne. Il est évident que dans un monde de la rareté, les classes inférieures ont surtout des besoins et des appétits.  Mais force est de constater qu'avec internet, la puissance des médias et le développement gigantesque des marchés financiers et de la publicité, le désir mimétique devient dominant dans notre société, même pour les besoins fondamentaux et les appétits. Il n'en reste pas moins que les foyers de misère extrême subsistent et qu'il peut fleurir chez les êtres "doués" pour le mimétisme comme le montre par exemple le snobisme de l'épouse Marmeladov dans Crime et châtiment de Dostoïevski.

    liens: un-idiot-attentif.blogspot.fr -Dostoïevski sonde les coeurs
    alexandrie.org -CRITIQUE LITTÉRAIRE Fedor Dostoïevski - Crime et Châtiment 

         b) "C'est pour cela que vous n'êtes pas d'accord avec la lecture que Lucien Scubla fait de votre travail quand il écrit que "la rivalité mimétique est la seule source de la violence". "
    Pour Scubla, "
    Rien ne paraît plus resserré que le système girardien, à moins que ce ne soit qu’un emboîtement d’hypothèses. Lucien Scubla en ramène l’axiomatique à quatre propositions : 1) le désir humain est toujours mimétique ; 2) la rivalité mimétique est l’unique source de la violence humaine (ce que Girard n’avalise pas) ; 3) seule la religion (sacrifice ou renoncement au sacrifice) peut contenir la violence."  La formule de Scubla dévalue trop les appétits et les besoins objectifs. En effet, ils peuvent déclencher des conflits et aboutir à la violence, et une fois qu'ils ont commencé ils peuvent se pénétrer de mimétisme. De nos jours, les gens se proccupent de la généralisation des "actes de violence" qui frappe au hasard, des vols, des agressions ou des viols dans nos sociétés d'abondance  Cette violence est détachée de tout contexte relationnel, elle n'a donc ni antécédent, ni suite. Pourtant les rapports de spécialistes montrent que les agressions commises au hasard ne constituent pas la principale cause de violence dans le monde. comme le montrent les rapports de l'OMS cf Report on Violence and Health où on s'aperçoit que la moitié des morts violentes sont causées par le suicide et que la majorité des homicides sont commis au sein de la famille, donc parmi des gens qui se connaissent, et même depuis longtemps. Seulement 1/5èmè des morts violentes proviennent chaque année de la guerre. Donc, l'histoire de la violence est bien principalement mimétique comme dans le cas de la violence domestique. Mais il n'en reste pas moins que la violence gratuite existe et agresser quelqu'un dans la rue n'est pas un acte directement mimétique puisqu'il n'existe pas de relation mimétique directe entre la victime et l'agresseur. Cependant, derrière cette attaque fortuite, du point de vue de la victime, il doit y avoir des rapports mimétiques dans l'histoire naturelle de l'agresseur, ou dans sa relation à la société en général, qui demeurent invisibles, mais qui peuvent être repérés. La situation est donc plus complexe qu'il n'y paraît.
    liens: 
    1libertaire.free.fr -lucien scubla: entretien sur rené girard
    lucadeparis.free.fr -Mécanisme victimaire, théorie des catastrophes et carré sémiotique
    journaldumauss.net -Enjeux pour une théorie de la religion au-delà du mirage girardien.
    who.int -World report on violence and health: summary 2002
    whqlibdoc.who.int -Rapport mondial sur la violence et la sante

         c) Nous devons aussi insister sur le fait que la mimésis n'a pas seulement des effets perturbateurs, comme on le voit avec la mimésis d'appropriation. Elle est aussi à l'origine de la transmission culturelle. 

    profondeurdechamps.com -Satan : un « bouc émissaire » ?

    René Girard répond: "j'ai conçu les mécanismes mimétiques à travers l'analyse de romans, dans lesquels la représentation des rapports conflictuels est essentiels. La "mauvaise mimésis" est donc toujours dominante dans mon travail. Mais dans les rapports entre être réels, c'est bien sûr, la "bonne" mimésis qui domine. Sans elle, pas de transmission transmission culturelle, pas de rapports paisibles." Mais parler de mimésis positive ne signifie pas forcément qu'on a compris le phénomène. Richard Dawkins qui insiste dans sa théorie (avec la notion de même, unité minimale de la transmission culturelle) sur la mimésis positive n'a aucune conscience de la crise mimétique, du bouc émissaire et autres articulations de la théorie mimétique (voir "le gène égoïste"). 

     

    Cela veut dire que l'institutionnalisation des études littéraires contribue à dissimuler le mécanisme du désir mimétique. C'est ce qu'affirme Sandor Goodheart dans Sacrificing Commentary: Reading the end of Litterature. Selon lui, la vraie fonction de la critique est de ramener la littérature à expression moyenne acceptable, plutôt que d'affronter le gouffre entre la vision d'un grand écrivain et la vision commune en la ramenant à un individualisme conventionnel, ce qui permet de masquer le désir mimétique. Ainsi, la critique devrait aider à dévoiler la nature mimétique du désir, plutôt que de la cacher.


         d) Revenons maintenant à la définition de la mimésis: votre approche ne gagnerait-elle pas en clarté si nous établissions une distinction entre "mimésis culturelle" et "mimésis d'appropriation?"
    La réponse est non. Ce qui donne cette impression, c'est que la mimésis culturelle, dans la majorité des cas, n'entraîne pas de rivalité, mais elle est malgré tout une mimésis d'appropriation. Si j'imite vos manières, si je lis les mêmes livres que vous, il n'en résultera aucune tension rivalitaire entre nous, ce sont là des sentiments partageables. Vous pourrez même vous sentir flatté d'être pris pour modèle. Mais la mimésis culturelle peut devenir source de rivalité si par exemple l'auteur d'une découverte scientifique non encore publiée la communique à un admirateur et que celui-ci la présente ensuite comme sa découverte à lui. Il y aura certainement attaque en justice.
    On a vu que l'objet a souvent pour fonction de déclencher la mimésis d'appropriation. Pourtant, il a un rôle fondamental à jouer dans la "mimésis culturelle paisible". Dans "l'hypothèse de la chasse comme facteur d'hominisation", des groupes sociaux, tant animaux qu'humains naissent de la "coopération lors de la chasse et de la distribution de la viande(voir Walter Burkert  in "Violent Origins. Ritual killing and Cultural Formation"). Mais il ne faut pas oublier que ce "bon" objet est tué. La chasse a toujours une dimension sacrificielle en plus de sa dimension sociale, qui n'est pas créée par le seul besoin de gibier. De même que la religion n'est pas seulement engendrée par la peur et l'admiration qu'inspirent les animaux sauvages. Toute forme de coopération complexe s'établit sur une sorte d'ordre culturel, qui est lui-même fondé sur le mécanisme victimaire. C'est là l'hypothèse girardienne sur l'origine de la culture. Et le peu que l'on connaît des chasseurs de la préhistoire et de leur univers suggère une organisation culturelle complexe.
    liens: 
    l.salvador.free.fr -Mécanisme victimaire et hominisation 

         e) Vous dévoilez la dimension d'appropriation de la mimésis et expliquez le rôle fondamental de l'objet concret  dans la production de cette perturbation, cependant
    , comme l'ont affirmé Jean-Pierre Dupuy  et Paul Dumouchel, l'objet de la société de consommation n'est pas exclusivement définissable dans le contexte de la mimésis d'appropriation. Il produit des formes de contrôle de cette explosion que représente la rivalité mimétique.

    L'interprétation que Jean-Pierre Dupuy  et Paul Dumouchel donnent de notre société est juste quoique un peu trop optimiste. Selon eux, la société de consommation constitue une façon de désamorcer la rivalité mimétique et de réduire sa puissance conflictuelle en s'arrangeant pour que les mêmes objets, les mêmes marchandises soient accessibles à tout le monde. C'est réduire les occasions de conflit entre individus. Mais à un moment donné, les individus finissent par se désintéresser de ces objets trop identiques et accessibles. Quelque soit le temps nécessaire, cette "usure" se produit. Parce qu'elle rend les objets trop faciles  à acquérir, la société de consommation travaille à sa propre destruction. "Comme tout mécanisme sacrificiel, notre société a besoin de se réinventer de temps à autre. Pour survivre, elle doit inventer des gadgets toujours nouveaux. Et la société de marché engloutit les ressources de la terre, un peu comme les aztèques qui tuaient toujours plus de victimes. Tout remède sacrificiel perd son efficacité avec le temps.
    Dans "Mimésis et morphogenèse", 
    Jean-Pierre Dupuy affirme que "l'objet est une véritable création du désir mimétique, c'est la composition des codéterminations mimétiques qui le fait jaillir du néant: ni création d'une pure liberté, ni point focal de d'un déterminisme aveugle.".René Girard pense que c'est aller trop loin car si c'était vrai, nous ne percevions que les objets que nous désirons. Or ce n'est pas vrai. Le monde est plein d'objets qui nous encombrent et nous ennuient. Il est fréquent qu'on achète les objets d'une main et qu'on les jette de l'autre. Là aussi une "usure " se produit. Nous sommes ainsi arrivés dans un monde où le problème n'est plus de d'avoir l'objet, mais de le changer. La société de consommation est devenue un système d'échange de signes au lieu d'un échange d'objets réels. Le monde dans lequel la consommation était un signe de richesse a maintenant perdu son attrait. Pour avoir l'air vraiment "cool" il faut apparaître subversif et "émacié", comme le dit Thomas Frank (The Conquest of Cool). Mais on revient au point de départ, car tout le monde a recours aux mêmes ficelles, et une fois encore, nous nous ressemblons tous. La société de consommation, à son extrême, devient en quelque sorte une mystique, elle nous procure des objets dont nous savons d'avance qu'ils ne peuvent pas satisfaire nos désirs. Elle peut nous conduire aux activités inutiles mais elle finit par nous faire prendre conscience de notre besoin de quelque chose d'entièrement différent, besoin de ce qu'elle ne sera jamais capable de fournir. Sans doute est-ce le sacré qui a quasiment disparu devant le matérialisme de la surconsommation?
    En même temps, il nous faut noter que l'augmentation de la médiation interne n'induit pas forcément une crise mimétique dans la société contemporaine qui se montre capable d'absorber de fortes doses d'infférenciation. quand on voit comment cela s'est passé dans les sociétés primitives, peut-on croire qu'une victime émissaire permettrait la reconstitution d'un monde vivable? Le cadavre de la victime permet-il de ramener les doubles au niveau précédent de différenciation? Le réponse de René Girard est non, "ce n'est pas possible. Il faut distinguer nos sociétés des sociétés primitives. Le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous allons voir pourquoi dans le prochain article qui va s'intituler "Le scandale du christianisme".
    liens: 
    clerse.univ-lille1.fr -Développement durable et contreproductivité : un regard Illichien vers une RSE de seconde génération

     

    Le mécanisme mimétique et la victime émissaire

     

     



  • Les origines de la culture 3-1) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     

     

     

     

     

     

     

       

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

    Les origines de la culture 2) Introduction: "une longue argumentation du début à la fin"



     Voici maintenant l'article Les origines de la culture 3) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique.

    Exergue: "J'avais enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler". Charles Darwin autobiographie.

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous commencerons la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". 

    Je résume et donne ici ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses. 

     

    1) Le fonctionnement du mécanisme mimétique.

     

    René girard: la conception du désir

     

      

     

     

    a) Désir mimétique et mécanisme mimétique.

    L'expression "mécanisme mimétique" désigne tout le processus qui commence par le désir mimétique, continue par la rivalité mimétique, s'exaspère en crise mimétique ou sacrificielle et et finit par la résolution dans le phénomène du bouc émissaire. 

    Commençons donc par le désir mimétique. D'abord, où commence le désir? L'appétit pour la nourriture ou le sexe n'est pas encore le désir, mais une "affaire biologique" qui devient désir par l'imitation d'un modèle dont la présence est un élément décisif. Le désir devient mimétique, donc imitatif, lorsque le sujet désire l'objet désiré par son modèle. Dans le cas où le sujet évolue dans un monde différent de son modèle, il ne peut posséder l'objet de son modèle et n'établir avec ce dernier qu'une "médiation externe".  Par exemple, si son acteur préféré, devenu son modèle, et moi-même, vivons dans des milieux différents, le conflit direct entre lui et moi est impossible et cette "médiation externe" ne suscite pas de conflit. En revanche, si le sujet vit dans le même milieu que son modèle (qui est alors son prochain"), alors les objets de son modèle lui sont accessibles. Par conséquent, la rivalité surgit. Ce type de relation mimétique est appelée par René Girard "médiation interne". Celle-ci se renforce alors constamment et engendre toujours plus de symétrie à cause de la proximité psychique et physique du sujet et du modèle, le sujet tendant à imiter autant que son modèle l'imite, lui. On évolue vers toujours plus de réciprocité, et donc plus de conflit, ce que René Girard appelle le rapport des "doubles". L'objet disparaît derrière la seule obsession des rivaux qui consiste alors à vaincre l'adversaire plutôt qu'à acquérir l'objet qui devient superflu, simple prétexte à l'exaspération du conflit. La crise mimétique, crise des doubles, surgit quand les rôles du sujet et du modèle se réduisent à cette rivalité. C'est la disparition de l'objet qui la rend possible et finalement elle s'exaspère et se répand contagieusement aux alentours. 

    b) Cette hypothèse ne contredit-t-elle pas la conception moderne du désir, expression authentique du moi, si le désir n'est pas quelque chose qui "appartient" à l'individu et s'il s'agit d'une convergence des appétits et des intérêts dont le "vecteur" est donné par le modèle?

    René Girard répond que le monde moderne est archi individualiste et on voudrait que que le désir soit unique et strictement individuel. L'attachement à l'objet du désir serait ainsi prédéterminé. Mais, s'il en est ainsi, je devrais désirer toujours les mêmes choses! Il n'y a pas grande différence entre un désir ainsi figé et les instincts. Pour que le désir soit en relation avec les appétits et les instincts d'un côté, et le milieu social de l'autre, il faut une bonne dose d'imitation. Seul le désir mimétique peut être libre, vraiment humain, parce qu'il choisit le modèle plus que l'objet; il nous rend humains en nous permettant d'échapper aux appétits routiniers et animaux et de construire notre propre identité. C'est cette nature mimétique du désir qui nous rend capable d'adaptation et donne à l'homme la possibilité d'apprendre ce qu'il a besoin de savoir pour participer à sa propre culture. En fait, il n'invente pas celle-ci, il la copie. 

    c) "Dans le cas de l'autisme (diminution de l'activité relationnelle), il est maintenant compris que l'imitation est le mécanisme par lequel l'enfant peut connaître quelque chose des sentiments de l'autre, elle fait le premier pont entre soi et l'autre. L'aptitude des bébés à faire le rapprochement entre le comportement de leurs proches et les effets induits par le fait de les imiter est fondamentale pour le développement ultérieur de l'intersubjectivité, de la communication et de la cognition sociale. Ne pas pouvoir imiter est le signe d'un grave déficit culturel." 

    La nature mimétique du désir pourrait bien nous échapper parce que nous nous reportons peu aux premiers stades du développement humain. Imitation et apprentissage sont indissociables. Paul Ricœur comparait la personne présentant un comportement mimétique à un enfant qui joue voulant dire que dans l'imitation il y a toujours un certain degré d'inconscience. La plupart de théories, dont celle de Jean Piaget, ont réduit ces comportements aux premiers stades du développement psychologique de l'individu, en les appliquant rarement à l'âge adulte. Nous ne nous résignons pas à reconnaître ceux que nous admirons lorsque nous les imitons, nous voyons là quelque chose de honteux. Pour Platon, dans "La République", l'image du miroir apparaît comme l'un des signes de la crise mimétique: il annonce l'apparition des doubles (dans la République, il décrit l'imitation libre comme comme une véritable crise des doubles: III, 395e-396b. Platon redoute la mimésis et pressent le danger de conflit derrière certaines pratiques imitatives non seulement dans l'art, danger qui peut surgir à tout instant dès que plusieurs hommes sont ensemble. Jacques Derrida, dans "la dissémination" remarque que dans "la République", Platon dit que Homère est condamné parce qu'il pratique la mimésis (la diégèse mimétique, non simple) tandis que "l'autre père, Parménide est condamné parce qu'il ignore la mimésis. S'il faut lever la main contre lui, c'est parce que son logos, la thèse paternelle, interdisait (de rendre compte) de la prolifération des doubles ("idoles, icones, mimèmes, phantasmes")..."

    d) pourquoi avoir choisi le mot mimétisme plutôt que celui d'imitation?

    Il y a moins de conscience dans le mimétisme et plus dans imitation. Il ne faut pas, comme l'a fait le 20ème siècle, définir toute imitation comme désir  C'est ce qu'a fait Freud, qui voyant des enfants imiter leurs parents, s'imagine que même les touts petits désirent la même chose que leurs parents. 

     

     

     

    Dans Au-delà du principe de plaisir, le mot imitation est omniprésent, pourtant le concept n'y joue aucun rôle. Pour Girard, si freud a tendance à éluder le concept d'imitation, c'est que celui-ci, amputé de sa puissance conflictuelle, paraît "simpliste" et déçoit l'appétit actuel (très mimétique) de "complexité". Cette attitude de refus de débattre du concept d'imitation est encore dominante dans notre culture. Par exemple, Régis Debré, dans "le feu sacré", consacre 15 pages qui se voudraient féroces contre René Girard, mais sans accéder à la notion de rivalité mimétique. Il rattache Girard à Tarde et à la tradition d'imitation qui sévit depuis Aristote. 
    d) Depuis quelques années, l'imitation commence tout de même à intéresser les science cognitives et la neurologie. Les psychologues du comportement affirment que les nouveaux-nés imitent, d'une façon qui ne peut être expliquée ni par le conditionnement, ni par la mise en place de comportements innés (voir A Meltzof). Par ailleurs, les neurologues ont découvert les "neurones miroir". 

    On s'aperçoit que l'acquisition et l'appropriation sont rarement perçus comme des comportements qui peuvent être imités. Les théories de l'imitation ne parlent jamais de la mimésis d'appropriation ou de la rivalité mimétique. C'est pourtant le point important selon la perspective de René Girard. Pour le rendre évident, on peut penser aux relations et interactions des enfants; ils ont une relation  de médiation externe  d'imitation positive, avec les adultes et une relation de médiation interne, donc de rivalité avec les autres enfants. C'est Saint Augustin qui, le premier a défini ce type de rivalité dans les confessions où il décrit deux bébés qui ont la même nourrice. Alors qu'il y a suffisamment de lait pour les deux, ils tentent chacun d'obtenir tout le lait, pour empêcher l'autre d'un avoir.:"« J’ai vu de mes yeux, dit Saint Augustin, et bien observé un tout-petit en proie à la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait » (les confessions I VII: voir le texte de Lacan au chapitre I 2,Le complexe de l’intrusion). Cet exemple contient sans doute une part de mythe (les nourrissons sont-t-ils capables de concevoir une pénurie possible), mais il symbolise très bien la rôle de la rivalité mimétique, non seulement chez les enfants, mais dans l'humanité en général. 

     

     

    2) La rivalité mimétique et les mythes de l'origine.

    a) Bien que la mobilité du désir soit un trait qui caractérise l'émergence de l'individu moderne dans l'histoire, processus qui s'est accéléré depuis la Renaissance, vous affirmez que désir mimétique n'est pas une invention moderne.

     

    Triptolème recevant de Déméter et sa fille Perséphone

    Dans les temps modernes, l'éventail des modèles parmi lesquels se fait le choix est beaucoup plus large que par le passé. Les différences de classe et de caste s'aplanissent et même s'il y a entre les hommes de grandes différences de pouvoir d'achat, les gens appartenant au plus bas niveau social désirent ce qu'on les gens du plus niveau. Ils pensent qu'ils devraient posséder ces mêmes choses. Les plus riches achètent la plupart du temps la même chose que les plus pauvres (par les médias on sait que le président ou les stars boivent du coca-cola et on peut en boire aussi). Les gens sont harcelés par la publicité. Dans le passé, l'égalité dans le désir restait la plupart du temps inconcevable. L'accès à certains biens et services était très limité ou sévèrement contrôlé , les différences sociales et économiques étant très rigides. Cependant, le désir et la rivalité mimétiques étaient déjà présents, comme on peut les repérer aussi derrière les mythes et les textes religieux, les védas indiens ou la bible par exemple. De même, trouve de vastes compilations de rites et de commentaires sur la pratique du sacrifice dans les  Brahmanas. Si les mythes racontent en effet des événements réels, mais en les déformant, ils ne sont jamais la pure fiction que beaucoup de personnes se font d'eux.

    www.mythes-religions.com

    Pouvez vous nous en donner des exemples?

    La doctrine du sacrifice dans les Brahamanas de Sylvain Lévi, anthologie raisonnée des Brahamanas est un bon exemple: "Le hommes, de même que les dieux e les démons, ont été créés par le sacrifice lui-même, qui se fait créateur en la personne de Prajâpati, le plus grand de tous les dieux.Toutes les créatures intelligentes de Prajapâti sont vouées aux rivalités et, par conséquent, aux sacrifices, car seul le sacrifice est capable, nous allons le voir, d'apaiser les rivalités entre ses créatures.Entre les dieux (Devas) et les démons (Asuras), il y a toujours un objet dont les deux groupes veulent s'assurer la possession exclusive. [...]. Dans de nombreux cas  cependant les dieux et les démons se disputent des biens faciles à partager[...], le bétail par exemple. mais là aussi, le partage est impossible car ce que tous convoitent n'est pas un peu ou même beaucoup de bétail, mais le bétail en soi, l'idée abstrait du bétail. Ce ne sont jamais les mêmes objets deux fois de suite. A chaque épisode, en effet, les Devas l'emportent sur les Asuras, grâce aux sacrifices qu'ils exécutent mieux que que leurs rivaux, et cette victoire rituelle leur assure la propriété de l'objet disputé. Plus on va, plus on comprend que les objets n'ont aucune importance. Ce ne sont que des prétextes à la rivalité. [...] Si l'objet est secondaire, qu'est-ce qui est essentiel dans ces  rivalités?[...] Ils réussissent à relancer la rivalité même dans les circonstances les plus propices à son extinction. L'exemple de la lune le montre nettement. Elle est l'un des objets que les dieux et les démons désirent simultanément. A la différence de tant d'autres objets, la Lune, tout au moins dans l'astronomie védique, est éminemment partageable. Tous les mois, elle se partage en elle-même en une lune croissante et une lune décroissante. Pour éviter cette nouvelle rivalité, Pour éviter une nouvelle rivalité, je suppose, Prajâpati décide d'assigner la première aux Devas, la seconde aux Asuras. On ne saurait imaginer solution plus équitable, mais les Devas n'en veulent pas. [...]. Les dieux désobéissent à leur créateur et principal protecteur. Loin d'être punis, ils sont récompensés car ils "voient"les rites adéquats et ils les exécutent à la perfection. Comme toujours, la rivalité aboutit au sacrifice, et le sacrifice, comme toujours, résout la querelle en faveur des Devas qui emportent la lune entière, au nez et à la barbe de Prajâpati. 

    Ce qui est intéressant, dans ces rivalités, c'est le mimétisme qui les engendre et, par la suite, en devenant réciproque, ne cesse de les exaspérer. Pour en repérer la genèse, il faut examiner le début, toujours semblable, de tous les épisodes; les deux groupes sont séparés, mais ils ne cessent de s'observer, et dès que l'un des deux désire un objet, l'autre ne cesse de l'imiter; bientôt, il y a deux désirs au lieu d'un seul, forcément rivaux puisqu'ils ont le même objet. Partout, l'imitation est le moteur de la rivalité. Elle rend compte de toutes les symétries et de toutes les réciprocités qui marquent nos récits avant l'intervention du sacrifice, seul capable d'engendrer une différence décisive, toujours en faveur des dieux. Les rivalités recommencent toujours après leur conclusion sacrificielle, non parce que le conflit est mal éteint, mais parce qu'il y a toujours de nouveaux objets qui suscitent de nouveaux désirs, et ces nouveaux désirs suscitent de nouvelles rivalités, calmées, chaque fois par de nouvelles interventions du sacrifice, longtemps indécises, mais toujours décidées en faveur des dieux. Cette imitation perpétuelle du désir de l'autre qu'on trouve partout dans les Brahamanas, n'est pas un phénomène réservé aux dieux et aux démons, mais aussi chez les hommes. Cette imitation caractérise toutes les créatures intelligentes de Prajâpati. Elle est responsable de la violence extrême des rapports entre tous les êtres qui doivent recourir au sacrifice pour résoudre les conflits et se différencier les uns des autres. Les Brahamanas conseillent en fait aux hommes d'imiter les dieux (les parvenus du sacrifice) et de les imiter, c'est à dire de recourir aux spécialistes du sacrifice que sont les brahmanes.

    b) Dans "Je vois Satan tomber comme l'éclair", vous affirmez que le désir mimétique et la rivalité sont révélés dans la Bible où l'on passe d'une simple description à une compréhension plus normative de l'imitation et du conflit.

    C'est essentiel. Dans le livre de la genèse, le désir est représenté comme mimétique: Ëve a été incitée par un serpent à manger la pomme et Adam a désiré ce même objet par l'intermédiaire d'Eve dans un chaîne mimétique évidente. Quand au meurtre d'Abel par Cain, il y a un élémént d'envie qui intervient et l'envie, c'est la rivalité mimétique. Le dernier commandement du décalogue,quant à lui, il interdit le désir mimétique: "Tu ne convoiteras pas la mason de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, rien de ce qui est à ton prochain" (Ex 20, 17). Même si la liste des interdits n'est pas complète, ils ont un dénominateur commun: ils appartiennent tous au voisin, au prochain.  Donc, en nous interdisant de désirer "tout ce qui appartient à ton prochain", le dernier commandement interdit le désir mimétique. C'est en fait l'interdit essentiel du décalogue, celui qui les résume tous. Si on peut les respecter, les autres ne doivent pas poser de problème. En effet d'où viennent les crimes dont il est question dans les autres interdits (tu ne tueras pas, tu ne voleras pas,...[Ex 20, 13-16])? Le dixième commandement répond: du désir mimétique. Les évangiles disent la même chose, mais en termes d'imitation et non plus d'interdit. En général, les gens pensent que le thème de l'imitation est limité à un seul modèle, jésus, qui est proposé là dans un contexte non mimétique. Mais nous sommes toujours dans le monde suggéré par le dixième commandement de Dieu. Jésus nous recommande de l'imiter lui, plutôt que le prochain, pour nous protéger des rivalités mimétiques. Le modèle qui encourage la rivalité mimétique n'est pas forcément plus mauvais que nous, il peut même être meilleur, ce qui est l'enjeu du modèle du Christ. Car s'il désire de la même façon que nous, de manière égoïste et avide, nous imiterons nous imiterons son égoïsme, comme lui le notre et nous serons des modèles mauvais, forcément rivalitaires, qui finissent toujours par se battre avec leur imitateur.

     

    3) le bouc émissaire et l'ordre social.

    wikipedia.org -Bouc émissaire

    a) Le désir mimétique dont il vient d'être question concerne d'abord les relations interindividuelles. Mais vous avez souvent montré qu'il a aussi des effets perturbateurs à grande échelle, puisqu'il peut détruire l'ordre social. Revenons plus en détail sur ce point?

    Lorsque le mimétisme fonctionne dans la réciprocité violente, dans une double imitation, il accumule de l'énergie conflictuelle qui a tendance à se répandre. Le mécanisme devient  de plus en plus attirant, mimétiquement parlant,pour ceux qui sont dans le voisinage. En effet, si deux personnes se battent pour le même objet, celui-ci augmente de valeur aux yeux du tiers qui contemple cette rivalité et séduit de plus en plus d'individus autour de lui. Mais lorsque l'attrait du rival grandit, l'objet du conflit tend à disparaître peu à peu, déchiré, déchiqueté, détruit dans la bagarre de tous les rivaux. Lorsqu'il passa au second plan ou disparaît, la mimésis est transformée en pur antagonisme. Les doubles prolifèrent, la crise mimétique s'étend et s'intensifie de plus en plus. Thomas hobbes, auteur du léviathan (Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d'une république ecclésiastique et civile), qui avait repéré ce phénomène l'a appelé la lutte de tous contre tous

    La seule réconciliation possible, le seul moyen d'interrompre la crise et de sauver la communauté de l'autodestruction, c'est de faire converger cette colère et cette rage collective vers une victime désignée par le mimétisme lui-même et adoptée unanimement. Il s'agit d'un membre de la communauté qui passe pour cause unique du désordre. Il n'est pas plus coupable que les autre, mais la communauté est persuadée du contraire. La crise se conclut par le meurtre du bouc émissaire parce que celui-ci est unanime. Ce mécanisme du bouc émissaire permet de canaliser la violence collective contre un membre de la communauté choisi de façon arbitraire et qui devient l'ennemi de la communauté qui se trouve réconciliée par le meurtre de cette victime.                      

    Dans les rituels, on trouve souvent la nature mimétique de ce processus. Le rituel débute par un désordre voulu, une crise délibérée ou simulée et débouche sur l'immolation rituelle de la victime. C'est un répétition de la crise mimétique conduisant spontanément au mécanisme victimaire. Il est espéré que qu'ainsi cela réitérera son pouvoir de réconciliation.

     

    b) La résolution de la crise victimaire ne pourrait-t-elle pas être provoquée par des circonstances étrangères à la mimésis d'appropriation (une vraie épidémie de peste par exemple). Notre ignorance peut provoquer le besoin de trouver un responsable à la crise et la désignation d'un bouc émissaire. Il faudrait séparer la phénoménologie du désir mimétique et de la rivalité de celle du ménanisme sacrificiel lui-même.

    Oui, effectivement,une catastrophe objective comme une épidémie, une sécheresse prolongée, une inondation, suscite une escalade des doubles et une crise mimétique qui va déboucher sur un phénomène de bouc émissaire. Mais il n'y aurait pas de bouc émissaire si on ne passait pas de la mimésis de l'objet désiré, qui divise à une mimésis qui permet toutes les alliances contre la victime. Pour résoudre une crise, ce qui importe, c'est le passage du désir d'objet, désir qui divise ceux qui imitent à la haine du rival, qui, elle, réconcilie, par la polarisation de toutes les haines sur une seule victime. Aprés la résolution victimaire de la crise, cette unanimité persiste et elle n'entraîne plus aucun conflit, puisque la victime unique a polarisé mimétiquement toute la communauté. De rivalitaire et conflictuelle, la crise se transforme automatiquement  et spntanément en mimésis de réconciliation. En effet, il est impossible pour les rivaux de s'entendre  autour de l'objet qu'ils désirent tous, mais ils s'entendent très bien, au contraire contre la victime qu'ils haïssent tous.

    c) la victime doit-elle être choisis au hasard?

    Pas forcément. Cela dépend du degré de compréhension des persécuteurs... et aussi de la victime qui peut troubler le jeu. Si quelqu'un dénonce le mécanisme du bouc émissaire ce fauteur de trouble en sera la victime toute désignée. C'est ce qui s'est produit pour le Christ évangilique qui n'est donc pas une victime du hasard, contrairement à ce qu'affirme Hans Urs Von Balthasar dans La gloire et la croix. Le Christ s'est désigné lui-même à ses persécuteurs en leur reprochant de s'en remettre à la violence et de condamner des victimes innocentes. Mais en général, on ne peut pas dire que la victime est choisie au hasard, ni qu'elle ne l'est pas. Quand on observe attentivement les mythes, René Girard fait remarquer que les victimes sont trop souvent des infirmes, des êtres handicapés, ou des étrangers pour avoir été choisies purement par hasard comme le montre un passage du deuxième Isaï, le serviteur de Yahvé (Is 53,2-3):

    "[...] Il a grandi devant nous, [...]sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits; objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions aucun cas."

    Les signes qui sont donnés comme raison de choisir cette victime (infirmités, traits déplaisants, pris à tort pour des signes de culpabilité), sont des raisons scandaleuses et insuffisantes, mais ils ne permettent pas de parler de pur hasard. Par exemple, dans les illustrations médiévales, les sorcières sont représentées avec des traits déformés, bossues, boiteuses, un peu comme les juifs et parmi les dieux grecs, nombre d'entre eux, tel Héphaïstos, loin d'être des Apollons, sont souvent handicapés, mutilés, rabougris, disgraciés (voir un texte parodique de Lucien de Samosate: Tragodopodagra ou bien Carlo Ginzburg, qui montre ce lien qui existe entre le fait de boiter, ou la mutilation d'un membre parmi les personnages mythologiques et le meurtre rituel et le royaume de la mort). Mais si les dieux archaïques sont souvent un peu abimés physiquement, il y a aussi parmi eux des Apollons et des Vénus


    C) En fait le choix de la victime est un mélange d'arbitraire et de nécessité.

     

    imagesbible.com -Joseph et la femme de Putiphar

    Certainement. Même s'il n'y a pas de signe de victimisation, on choisira un bouc émissaire de toute façon  au moment crucial. N'importe quoi peut être choisi comme signe et tout le monde pensera que le coupable a été trouvé. Le mécanisme du bouc émissaire fonctionne comme un phénomène faussement scientifique, une chose révélée que chacun peut vérifier "dans les yeux de ses voisins" ce qui renforce la certitude de la foule. Parfois, c'est un objet physique qui est considéré comme une preuve directe: dans Phèdre, la protagoniste de l'hippolyte d'Euripide, qui se tue après accusé son beau-fils de viol, Thésée se laisse facilement convaincre de la culpabilité d'Hippolyte parce que phèdre peut exhiber l'épée de celui-ci comme preuve. Arthur Maurice Hocart parle ici d'une sorte de "fétichisme" naïf de l'objet. Un autre exemple se trouve dans l'histoire biblique de Joseph, où la femme de Putiphar a gardé la tunique de ce dernier, ce qui semble prouver que Le jeune homme a cherché à avoir avec elle une relation sexuelle. Dans tous ces cas, il y a un objet physique qui semble une preuve évidente, la pièce à conviction numéro un en quelque sorte.

     

     

    d) Nous avons vu le phénomène des doubles à l'échelle individuelle. La collectivisation de ce phénomène explique l'escalade, qui fait partie du mécanisme du bouc émissaire et qui conduit à l'indifférentiation du groupe social tout entier. Celle-ci refléterait alors au niveau social le mécanisme de l'émergence des doubles.

    arts-jumeaux-doubles.blogspot.fr (castor et pollux)

    Oui, plus les gens deviennent indifférentiés, plus il est il est facile de décider que n'importe lequel d'entre eux est coupable. Le mot double qui implique l'absence de toute différence symbolise la désymbolisation et signifie cette indifférentiation, l'absence de toute différence. Les jumeaux mythiques (la liste est longue).Dans la théorie de Claude Lévy-Strauss, contrairement à cette vision, tout est différence au point que pour lui, il y a différence même entre les jumeaux, qui sont une négation logique de la différence. Tout comme Ferdinand de Saussure, il affirme que le langage ne peut exprimer l'absence de différence. Pourtant, le langage parle de l'indifférentiation dont la métaphore est prise très au sérieux dans certaines sociétés, puisqu'on y massacre les jumeaux.  Bien sûr, par contre, d'autres sociétés, conscientes du fait que les jumeaux biologiques n'ont rien à voir avec le processus d'indifférentiation sociale, ne les stigmatisent pas. Mais la culture primitive a pu parler d'infférentiation, même si, en principe, le langage ne le permet pas. Comme le dit René Girard, le langage est bien plus malin et capable de réalisme que ne l'imagine Lévy-Strauss.

    liens: espritdavant.com -Jumeaux et cultes: mythes, divinités et saints

     

    e) Ce qui le rend possible, c'est que le mécanisme du bouc émissaire précède l'ordre culturel et le langage en particulier. En fait, c'est lui qui permet à la culture de se développer.Cela amène à la question: comment se développe la culture? Pour René Girard, la réponse est: par le rituel. "Pour tenter d'empêcher les épisodes de violence mimétique imprévisibles et fréquents, les cultures organisent des moments de violence planifiés, contrôlés, maîtrisés, à dates fixes et ritualisés. En répétant sans cesse le même mécanisme (du bouc émissaire) sur des victimes de rechange, le rituel effectue une sorte d'apprentissage. Il interviendra toujours au même moment de la crise mimétique pour sa résolution. Peu à peu, il se transformera en une institution qui assagit la crise et toute forme de crise: crise de l'adolescence avec ses rites de passage, crise de la mort résolue par les rites funéraires, crise de la maladie avec la médecine rituelle. La crise peut aussi être imaginaire, mais la différence n'est pas grande. Une crise imaginaire peut tout aussi bien créer une vraie catastrophe. 

    Les Lumières n'ont vu dans le rituel que son utilisation par des prêtres "fourbes et avides" pour imposer leurs abracadabras au bon peuple excessivement crédule. Mais selon René Girard, cette thèse est absurde et les clergés ne peuvent pas précéder l'invention  de la culture. Le religieux est premier et et, loin d'être une farce dérisoire; il est l'origine de toute culture. Et l'humanité est fille du religieux.
    liens:  wikipedia.org -Culture
    wikipedia.org -Rite.

     

    f) Arthur Maurice Hocart, que nous avons évoqué en b) à propos du 

     

    mythologica.fr -le meurtre d'abel  

    fétichicisme de l'objet, souscrit à cette deuxième hypothèse pour avoir écrit: "Le rituel n'es guère apprécié par nos intellectuels. Ils l'assimilent pour la plupart, au cléricalisme pour lequel ils ont peu de sympathie. Cela ne les dispose guère à admettre que des institutions comme celles de l'administration moderne, qu'ils approuvent et qui leur semblent éminemment rationnelles et efficaces, soient nées de cette superstition qu'est, à leurs yeux, le rituel. Pour eux, seul l'intérêt économique peut créer quelque chose d'aussi solide que l'état. Pourtant, avec un peu d'attention, il leur serait aisé de voir partout autour d'eux des communautés cimentées par un intérêt rituel commun; et ils s'apercevraient que la ferveur rituelle est un ciment plus solide que toutes les ambitions économiques, puisqu'un rituel implique une règle morale tandis que l'économie est une règle de profit, qui divise au lieu d'unir.

    Ce texte est admirable, mais il faut aller plus loin et penser à l'histoire de Caïn qui est ici essentielle en révélant que Caïn est le fondateur de la première culture. Le texte pourtant ne mentionne aucune fondation. Dans le texte biblique on y trouve le meurtre d'Abel, puis, immédiatement après, la loi contre le meurtre (Gn 4,15):  L'Eternel lui dit: «Si quelqu'un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois». Cette loi représente, pour René Girard, la fondation de la culture, parce que la peine capitale, qu'on retrouve dans toutes les cultures, c'est déjà le meurtre rituel. On la retrouve dans le Lévitique avec une forme de mise à mort strictement codifiée, à laquelle toute la société participe. Depuis lors, avec la peine capitale, le meurtre originel se répète de la même façon,  tout le monde y prend part et personne n'en n'est responsable. On peut dire que la culture émerge de ce meurtre proto-rituel:  la bible dit que qu'à partir de Caïn, et de sa lignée, sont nées la domestication des animaux, la musique et la technique (Gn 4,20-22).

     

    g) C'est exactement le mythe de Prométhée raconté par Eschyle.

     

     

     

     

    "Prométhée est la victime sacrificielle qui est tuée, puis cannibalisée sans cesse, l'aigle lui mange le foie dans une répétition indéfinie du sacrifice. En tant que victime sacrificielle, il est "responsable" de l'invention de la culture, il est représenté comme la matrice d'où émergent le langage, les sciences et la technique.'

    Liens: philolog.fr -Le mythe de Prométhée

    mythologica.fr -prométhée

    liens: crdp.ac-paris.fr/parcours -Abel et Caïn, un récit fondateur de l’imaginaire occidental C’est toute l’humanité

    lemondedesreligions.fr -Le mythe de Prométhée réhabilité

    philolog.fr -Le mythe de Prométhée

    mythologica.fr -prométhée
    apprendre-la-philosophie.blogspot.fr -L'origine de la technique, le mythe de Prométhée






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    Les origines de la culture 2) Introduction: "Une longue argumentation du début à la fin."

    (Voir le 3ème commentaire Par Laetirature, le 07 mai 2011)




    wikipedia.org -René Girard

     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

    jstor.org/discover -To doble businesse bound (Essays on Literature, Mimesis, and Anthropology by René Girard) (1978)

    www.amazon.fr -Le bouc émissaire (version .pdf: lea.u-paris10.fr -Le bouc émissaire)

    grasset.fr -La route antique des hommes pervers (1985)amazon.fr -Shakespeare, les feux de l'envie (franceculture.fr -Shakespeare, les feux le l'envie)
    arlea.fr -Quand les choses commenceront (1994)

    goodreads.com -The Girard Reader (1996)

    grasset.fr -Je vois Satan tomber comme l'éclair  (libertylovers.blogspot.fr -Je vois Satan tomber comme l'éclair) (1999)

    amazon.fr -Celui par qui le scandale arrive (2001)

    libertepolitique.com -La voix méconnue du réel (2002) grasset.fr -La voix méconnue du réel (premiers chapitres)

    amazon.fr -Le sacrifice (2003)

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

    amazon.fr -anorexie et désir mimérique (2008)

    carnetsnord.fr -La conversion de l'art      porte-cierge.blogspot.fr -La conversion de l'art (2008)

     

    1) Préambule sur "les origines de la culture" et René Girard.

    Exergue: "Certains de mes critiques ont dit: "Oh, c'est un bon observateur, mais il n'est pas capable de raisonner." J'en doute, dans la mesure où l'origine des espèces n'est qu'une longue argumentation du début à la fin, et qu'elle a pu convaincre plus d'une homme compétentCharles DarwinAutobiographie.

    itinerarium.fr -Qui est le (vrai) bouc émissaire ?

    René Girard est un des derniers "porc-épics " vivants comme le dit Roberto Calasso dans "La ruine de Kash". Cela réfère à à la typologie d'Isaïah Berlin tirée d'un vers d' Archiloque : "Le renard sait beaucoup de choses, mais le porc-épic ne sait qu'une seule grande chose". Pour René Girard, le bouc-émissaire serait cette seule grande chose selon Roberto Calasso. Si c'est en partie vrai, rené Girard sait aussi une autre grande chose: le désir mimétique. A partir de ces choses, et pendant 40 ans, pour reprendre les mots de Charles Darwin, il a déroulé "une seule et longue argumentation". C'est ainsi que João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture", essai qui tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant... Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin.

     

    liens: wikipedia.org -Opinion de Charles Darwin sur la religion

    lea.u-paris10.fr Le bouc-émissaire (René Girard)

    philolog.fr -Le désir mimétique rené girard

    cles.com -le désir mimétique par Alain Valade et Patrice van Eersel

     

    2) Penser le mimétisme.

    zphoto.fr -mimétisme

    La théorie mimétique, de par sa transversalité, doit être saisie dans sa complexité, à savoir qu'elle induit d'abord des relations interdisciplinaires et pointe ensuite vers des relations intersubjectives ayant des conséquence à l'échelle sociale. Elle propose un récit renvoyant aux origines violentes de notre culture dont le moteur premier est, selon René Girard, le mimétisme, ie l'imitation, qui doit être ici comprise dans un sens anthropologique, sens où Girard a porté à l'extrême l'affirmation d'Aristote dans la Poétique: "L'homme se différencie des autres animaux en ce qu'il est le plus porté à imiter." Contrairement à ce qui a eu lieu dans dans la culture contemporaine, il a donné à l'imitation sa plus ample signification anthropologique et sociale en montrant que le mimétisme implique des processus artistiques et sociaux qui se réalisent à travers des configurations toujours plus complexes, tout en se fondant sur un mécanisme relationnel identique. Notre désir naît toujours de l'imitation de celui d'un autre pris comme modèle, et si la société ne parvient pas introduire une hiérarchie entre le sujet désirant et ses modèles, l'imitation tend à devenir antagoniste, avec comme conséquence un conflit potentiel entre le modèle et le sujet pour obtenir l'objet de leur désir commun, objet qui perd alors de son importance pour alors qu'en même temps la rivalité s'accroît. Cette hypothèse permet de structurer les dynamiques relationnelles de l'individu et les différentes configurations psychopathologiques rattachées à la définition de son identité ainsi que les répercussions funestes du mimétisme au niveau social.

    La possibilité même de l'émergence de la culture présuppose la découverte du mécanisme de contrôle de cette violence issue de la mimesis d'appropriation. Ainsi, penser le mimétisme signifie ultimement "penser l'humain". On peut souligner les conséquences négatives d'un désir ainsi conçu, mais si l'objet est occasion de conflit et de rivalité, il peut aussi devenir l'instrument qui permet d'apaiser cette rivalité. L'imitation mène au conflit, mais elle est aussi la base de toute transmission culturelle. L'autre est à la fois modèle et rival. Le bouc émissaire est le mal à expulser, mais en même temps ce qui est transcendant car c'est par sa mise à mort, suivie de sa divinisation, que l'équilibre social est retrouvé. La base de la connaissance et du comportement humain est contenue dans dans cette faculté provenant d'une structure unique mais ambivalente: l'imitation. C'est le mécanisme du bouc émissaire, produit, par la canalisation de la violence collective, qui permettra, pierre par pierre, victime après victime, de construire l'édifice précaire de nos institutions et de ces normes éthiques.  En mettant un frein aux dérives conflictuelles et acquisitives, elles favorisent les aspects positifs du mimétisme (éducation, connaissance, art). 


    liens: sophia-cholet.over-blog.com -Le désir mimétique, concept clé de la pensée de rené girard

    wikipedia.org -Mimétisme      wikipedia.org -Bouc émissaire

    wikipedia.org -Le grand Autre                      wikipedia.org -Le petit autre

     

    3) Evolution et victimisation.

    jcdurbant.wordpress.com -année darwin et catastrophisme

    On oublie souvent que la théorie mimétique reste l'une des rares hypothèses anthropologiques qui tente d'expliquer les phénomènes culturels et sociaux en remontant à leurs origines. les anthropologues, les historiens, les sociologues et même les scientifiques qui essaient de repérer une théorie sociale qui serait compatible avec des présupposés scientifiques et traiterait de la fondation du monde, finissent pour la plupart par retourner aux explications de Emile Durkheim. Ente Durkheim et le modèle mimétique, le siècle dernier a expulsé toute considération sur l'origine de la culture et des institutions, moment sans doute considéré, un peu comme le big bang, comme inatteignable. De plus, les origines violentes de notre culture sont la plupart de temps occultées, alors que, selon René Girard, le moteur de tout notre savoir, notre science, notre technique ne fait qu'un avec le sacrifice. 

    A partir de "la violence et le sacré" (1972) et "des choses cachées depuis la fondation du monde" (1978), il a émis un hypothèse sur l'émergence de la culture à partir de données éthologiques et ethnologiques. Puis, l'explication mimétique apparaît à l'intérieur d'une projection strictement naturaliste et darwinienne avec "celui par qui le scandale arrive" en 2001. On peut faire l'hypothèse d'une phase animale à une phase culturelle dans le développement cognitif et symbolique de l'Homo-sapiens. Dans sa lente ascension évolutive, l'homme trouve en effet dans le mécanisme victimaire un instrument pour contrôler l'escalade mimétique, qui peut diffuser jusqu'au paroxysme la vengeance à l'intérieur du groupe. C'est le rôle du bouc émissaire de canaliser la violence collective et la rejeter sur un seul individu jugé responsable de la crise sociale, née de motifs contingents, comme la famine ou les épidémies. Cela permet à la communauté de calmer le chaos dans lequel elle est périodiquement entraînée. Ainsi, pour René Girard, de la ritualisation de ce proto-événement, naîtraient tous les mécanismes de structuration du social: les tabous, les normes, les institutions.

    Ce mécanisme victimaire comme moteur originaire de notre culture n'est en rien strictement "mécanique", mais il s'agit d'un événement systémique contingent dû "au hasard et à la nécessité(dans une vision d'abord scientifique). Il est dû d'abord au hasard, car cest une forme efficace trouvée accidentellement par la communauté primitive pour canaliser et contrôler la violence au sein de l'espèce, et ensuite à la nécessité, parce qu'il se révèle être le mécanisme structurant qui leur procure le meilleur type d'adaptation. C'est à partir de ce mécanisme que se développeront les formes symboliques du langage et des rites et les nouveaux instruments cognitifs et techniques d'adaptation sociale et culturelle. L'apparition "fortuite du sacré" dans les cultures primitives montre qu'il s'agit d'un phénomène tout à fait naturel; ne pas trouver ce mécanisme pour un groupe proto-humain entraîne son extinction ou entrave le plein développement de sa complexité. René Girard peut être considéré, selon la suggestion  de Michel Serres, comme le "Darwin des sciences humaines". Si l'hypothèse de la sélection naturelle explique les mécanismes qui réglement l'évolution des espèces animales, la théorie du bouc émissaire rend compte, elle, du mécanisme qui est à la base de la naissance et de l'évolution de la culture. 


    liens: scienceshumaines.com -Émile Durkheim (1858-1917) - Le père de la sociologie

    maroudiji.over-blog.fr -rene-girard-le-darwin-des-sciences-humaines

    4) Le crime n'était pas parfait.

     

     

    René Girard utilise les données anthropologiques et ethnologiques, y compris les mythes et les rites comme de véritables "restes fossiles" de l'évolution culturelle de l'homme, où apparaissent, en filigrane, les traces du crime fondateur Il traite ces rites, mythes et la littérature elle-même comme "pièces à conviction" comme preuves et évidences de "ces choses cachées depuis la fondation du monde." Le pari de René Girard, c'est l'idée que ces textes révèlent le moteur des relations humaines. A une époque où la théorie dominante tend à nier tout référent en dehors du discours (dominant), il n'a eu de cesse d'aller dans la direction opposée, en soulignant le réalisme de son argumentation. Sa pensée, tant en anthropologie qu'en histoire comparée des religions et des cultures s'applique aux constantes qui expliqueraient pourquoi les mythes racontent toujours la même histoire, celle d'un assassinat fondateur réel, bien que toujours caché dans une structure mythologique, elle-même à l'origine de la culture. Et ce meurtre fondateur ne peut être que dissimulé, car la culture et l'ordre social refusent de de voir leur lynchage fondateur. Mais René Girard pense cependant que l'assassin est trop souvent revenu sur les lieux de son crime, en mimant à l'excès son geste et en laissant trop de traces, trop d'indices. Cela évoque la leçon d'Edgar Allan Poe dans La lettre volée: c'est l'abondance même des preuves qui nous empêche de nous rendre compte de l'universalité du désir mimétique et du mécanisme sacrificiel.

     

    4) Epistémologie et conversion. 
    On peut voir dans les prolongements religieux de la théorie mimétique uniquement une dimension apologétique chrétienne qu'il faudrait expulser pour être compatible avec le scepticisme ambiant. En effet, la théorie mimétique s'oppose au préjugé dominant, des Lumières jusqu'à aujourd'hui, selon lequel le phénomène religieux ne pourrait en aucun cas avoir la pertinence que cette théorie lui attribue dans l'émergence de la culture. Pour ses détracteurs, l'hypothèse girardienne ne serait rien d'autre qu'un produit dérivé de son option religieuse, considérée comme vice idéologique de base. Mais c'est oublier (ou vouloir ignorer) la présence de la religion et des institutions dans la construction des premières formes de civilisation et dans l'histoire de toutes les cultures du monde. 

    Ici, on trouve une approche du phénomène religieux où rené girard propose un cour-circuit conceptuel parmi les plus provocateurs, qui est l'idée de "conversion", non plus pensée comme un simple phénomène existentiel, mais comme un véritable présupposé scientifique. Ce terme, banni depuis longtemps de toute réflexion philosophique, devient épistémologiquement crucial dans le cadre de la théorie mimétique. "Cette notion s'impose comme comme une critique du sujet, c'est à dire de l'autonomie présumée de l'individu moderne par rapport à la pléthore de modèles avec lesquels il doit interagir." Le présupposé de l'autonomie du sujet a été largement déconstruit par un siècle de discussions critiques et philosophiques avec le structuralisme, le post-structuralisme, l'herméneutique, de Marx à Freud (voir http://books.google.fr). Mais il demeure encore très ancré dans nos comportements individuels. Nous avons tendance à nous croire libres dans nos choix ou nos convictions et à ne pas admettre nos rapports de rivalité intime. Nous déconstruisons tout, sauf notre certitude d'être autonomes et pour chacun d'entre nous, les persécuteurs seront toujours les autres. La rationalisation de la position du sujet est une pratique à laquelle la théorie mimétique oppose une critique dans laquelle se convertir signifie être pleinement conscients que nous sommes toujours en proie au désir mimétique et que nos choix ne sont pas aussi libres que nous le croyons. 

    Ce concept de conversion remet en question la séparation fictive, que Descartes a consacrée, entre sujet et objet: nous sommes en même temps sujets et objets du désir mimétique. Reconnaître la théorie de René Girard, c'est accepter ses présupposés qui ont des conséquences pour le sujet qui en parle (et que nous sommes et examiner les faits avec sa propre expérience pour en déduire la plausibilité de l'hypothèse mimétique. Mais nous voyons difficilement nos comportements mimétiques et nos histoires de persécution personnelles, ce qui nous empêche souvent de commencer à discuter de ce perspectives.


    liens: jesusmarie.free.fr -walter_deviviers:COURS 'APOLOGÉTIQUE CHRÉTIENNE 
    phi2080.uqam.ca -Le XVIIIe siècle : le siècle des Lumières
    wikipedia.org -Conversion religieuse

    2.cndp.fr -Philosophie et psychanalyse, regards croisés sur le sujet

    jeanzin.fr -Sujet-Objet (de Descartes à l'écologie)
    guykarl.canalblog.com -de la scission sujet-objet (Le jardin philosophe)

    5) Christianisme et post-modernité.

    wikipedia.org -Mythologie

    Le même paradoxe existe à propos de l'impact du christianisme sur l'histoire de l'occident, cet autre "scandale" de la théorie girardienne. Il se manifeste particulièrement dans le cas des sciences sociales et naturelles qu'on peut caractériser par leur "allergie" au religieux. René Girard montre en fait comment le christianisme est encore la science humaine la plus féconde. Comme l'a dit Simone Veil, avant d'être une théorie de Dieu, une théologie, les Evangiles sont une "théorie de l'homme", une anthropologie. Girard soutient que le christianisme n'est autre que "la prise de conscience culturelle et morale de la nature sacrificielle de notre culture et de notre société". Elles permettent de lire dans la mythologie et les Ecritures la prise de conscience progressive de l'origine violente de l'ordre culturel.Le christianisme est le point culminant d'une phase de développement de l'homme, qui le voit aux prises avec le danger contagieux de la violence interne à la communauté, et qui ne réussit à y porter remède qu'en trouvant de nouveaux boucs émissaires jugés coupables, mais en fait innocents ("Il vaut mieux qu'un seul meure plutôt que l'entière communauté" dit la logique sacrificielle et "Ils m'ont haï sans raison" révèle le Christ dans Jn 15,25). Le christianisme représente donc pour l'évolution culturelle humaine, ce que la culture a représenté pour la sélection naturelle (quand l'homme n'est plus victime du mécanisme aveugle de sélection darwinienne, mais commence à s'en affranchir). C'est le moment où l'homme se libère de la nécessité de recourir à l'immolation de boucs émissaires pour clore les conflits et les crises communautaires et où l'homme devient conscient de de l'innocence de ses victimes.

    Ainsi René Girard met en évidence un paradoxe de la culture occidentale. Dès l'époque moderne, elle semble vouloir se libérer définitivement des contraintes religieuses et confessionnelles par l'expulsion rationaliste du religieux. Mais c'est alors qu'elle révèle ses racines les plus profondément chrétiennes. Notre culture contemporaine est en effet bâtie autour de la centralité de la victime: victimes de l'Holocauste, victimes du capitalisme, victimes des injustices sociales, des guerres et des persécutions, des désastres écologiques, des discriminations raciales, sexuelles, religieuses.... Or, c'est le christianisme qui a placé la victime innocente au coeur de nos discours. 

    Si maintenant le mécanisme sacrificiel ne peut plus fonctionner puisqu'en ont été révélés l'injustice et l'arbitraire, la société moderne se trouve engagée dans une nouvelle phase évolutive, comme un laboratoire où s'élaborent de nouveaux mécanismes d'équilibre et de stabilité. Le rupture de de ce qui a été fondé sur des présupposés religieux ou sacrés fait replonger l'homme dans la fluidité mimétique du social, des scandales et des oscillations du désir et de la haine. Il est un fait que le compréhension chrétienne de la réalité s'est partout diffusée et a imposé la sécularisation du monde comme le montrent le marché et et le capitalisme avancé, les institutions démocratiques, la diffusion des outils technologiques et médiatiques, en incarnant aussi une époque où la fausse transcendance ne protège plus l'homme. Cela aboutit à de nouvelles structures de "contention" qui se fondent sur formes de transcendance sécularisée comme l'idéologie démocratique, la technologie, la spectacle médiatique, la marchandisation des rapports individuels. Ils réussissent à retarder l'événement apocalyptique, seul horizon de la dissolution de l'ordre religieux. René Girard ne prophétise pas sur le destin prochain de l'humanité, et met en garde contre toute interprétation de la réalité contemporaine qui ne tiendraient pas compte des ambiguïtés du développement social et politique et qui se réduiraient à des formules lapidaires: post-modernismenihilisme, fin de l'histoire. On peut sans doute voir une preuve de la validité anthropologique de la théorie mimétique dans les conflits actuels et la dérive fondamentaliste des acteurs du terrorisme. Elle est une pierre d'achoppement pour la compréhension du monde contemporain, surtout en ce qui concerne la question de plus en plus épineuse de la violence collective, politique et religieuse. Cette pensée a pris, ces dernières années des accents nouveaux. Longtemps, René Girard a soutenu que le christianisme définissait un espace non sacrificiel, la constitution d'un ordre exempt de violence. Mais dans ses derniers livres, ("Je vois Satan tomber comme l'éclair" et "Celui par qui la scandale arrive" et nettement plus encore dans le présent ouvrage "Les origines de la culture"), il réévalue cette position à travers une lecture attentive du "jugement de Salomon": "Nous vivons tous au coeur de dynamiques mimétiques et conflictuelles et la définition d'un espace non sacrificiel est illusoire. La conflictualité, loin de nous être étrangère, est ce qui nous est le plus propre. Il ne faut pas voir là, évidemment, une justification naïve de la violence, mais un constat lucide de son caractère radical. C'est seulement à partir de cette conscience que nous pourrons cohabiter avec ce qui, à la fois, définit l'homme et le met en échec."


    Ceci terminera ce deuxième article consacré à l'introduction du livre "Les origines de la culture" qui a été faite par João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo AntonelloDans le prochain article, nous examinerons la chapitre I "La vie de l'esprit". 


    liens: wikipedia.org -Christianisme
    fr.wikipedia.org -Théologie            wikipedia.org -Ontothéologie        fr.wikipedia.org -Evangiles
    catharisme.eu -Livre II : L'Écriture Judéo-Chrétienne: Lecture sacrificielle et christianisme historique
    (venant de: catharisme.eu -Le christianisme cathare)
    wikipedia.org -Mythologie         wikipedia.org -Saintes écritures
    wikipedia.org -sécularisation    
    akadem.org -Un concept historique et philosophique La Sécularisation

      lescalier.wordpress.com -Un monde sécularisé ?
    ress.revues.org -La démocratie providentielle, temps de l’ultra-sécularisation
    cmpp.ch/conseil_de_dieu/ -LA PIERRE D’ACHOPPEMENT




    En épilogue je rappelle deux extraits mes articles que je médite souvent. J'y ai répensé en écrivant  le présent article. Notre existence a-t-elle un sens? 2) Le désenchantement du monde (et de l'homme)

    Extrait: 4) Le désenchantement: [...] Antoine de Saint Exupéry était un ceux qui avaient le mieux perçu ce problème, il y a plus d'un demi-siècle. Il répond par avance à ces scientifiques: "L'homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il est en lui, comme en tout être, quelque chose que n'expliquent pas les matériaux qui le composent. Une cathédrale est bien autre chose qu'une somme de pierres. Elle est géométrie et architecture. Ce ne sont pas les pierres qui la définissent, c'est elle qui enrichit les pierres de sa propre signification."  Puis il perçoit le "drame de l'humanisme athée": l'impossibilité de un fondement solide à l'humanisme dans un monde où l'homme ne serait "rien d'autre que...", ce que des philosophes matérialistes contemporains lucides comme André Comte-Sponville ont admis. Saint Exupéry poursuit: "On ne dit rien d'essentiel sur la cathédrale si on ne parle que des pierres. On ne dit rien d'essentiel sur l'homme si l'on cherche à le définir par ses qualités d'homme. L'Humanisme a ainsi travaillé dans une direction barrée d'avance [...] Nous avons glissé, faute d'une méthode efficace, de l'Humanité qui reposait sur l'Homme, vers cette termitière qui repose sur la somme des individus. Qu'avions-nous à opposer aux religions de l'Etat ou de la masse?  Qu'était devenue notre grande image de l'Homme né de Dieu? [...] Si notre société pouvait encore paraître souhaitable, si l'homme y conservait encore quelque prestige, c'est dans la mesure où la civilisation véritable, que nous trahissons par notre ignorance, prolongeait encore sur nous son rayonnement condamné, et nous sauvait malgré nous-mêmes."


    Notre existence a-t-elle un sens? 3) Comment ébaucher un "traité de la condition humaine?"

    Extrait: 3) Sauvegarder les valeurs? Comment?
    Seule une transcendance peut servir de fondement. Si elle n'existe pas, il nous faut respecter "une morale sans fondement". 

    André Comte-Sponville a montré dans "morale sans fondement", que nous ne pouvions fonder nos valeurs et notre morale:

         -Ni sur l'homme (comme le pensent les humanistes matérialistes) car il est capable du pire.

         -Ni sur la nature (comme le pensent les écologistes) car elle est amorale. 

         -Ni sur l'histoire (comme le pensent les marxistes) car elle ne possède pas un sens précis. 

         -Ni sur la science (comme le pensent les scientistes) car, comme la nature, elle ne peut aborder les questions de morale. 

    Un philosophe comme André Comte-Sponville en est certainement capable, mais on peut douter qu'une société dans son ensemble le soit, si son unique cadre conceptuel est celui du "désenchantement du monde". D'autant plus que Luc Ferry a montré l'extrême difficulté, voire l'incohérence, qu'il y a pour un matérialiste à parler de morale: "Il est incohérent de se dire matérialiste et d'envisager la moralité des actes humains comme si elle pouvait dépendre d'une liberté qu'on déclare par ailleurs tout à fait illusoire. Par où il me semble qu'un matérialisme conséquent devrait toujours se borner à une "éthologie" sans jamais parler de morale autrement que comme d'une illusion plus ou moins nécessaire."

    Saint Exupéry nous a déjà dit que l'humanisme matérialiste est sans issue et que le fondement de la liberté, de l'égalité et de la fraternité provient de notre "grande image de l'homme né de Dieu", en fait de la laïcisation d'un concept judéo-chrétien. Donc, si les fondements disparaissaient, toute forme d'humanisme risquerait bien d'être engloutie. Lorsque les religions dominaient les sociétés humaines, celles-ci n'étaient guère brillantes en termes de droits de l'homme, mais c'était bien parce que ceux qui les représentaient faisaient exactement le contraire de ce que disaient les textes sacrés qu'ils devaient enseigner.La "légende" du Grand Inquisiteur de Dostoïevski va dans ce sens car elle ne dénonce pas seulement les religieux ayant trahi leur religion, mais ceux qui prétendront faire le bonheur de l'homme sur le plan strictement matériel et qui, pour cela, édifieront une société totalitaire dont Dieu aura été exclu.

    C'est en effet saisissant de prophétisme lorsque le Grand Inquisiteur dit à Jésus: "Sais-tu que des siècles s'écouleront et que l'humanité proclamera par la bouche de sa science et de sa sagesse que le crime n'existe pas, et que, par conséquent, il n'y pas de pécheurs mais seulement des affamés. Nourris-les, et alors seulement exige d'eux la vertu! Voilà ce que l'on tracera sur l'étendard que l'on brandira contre Toi et qui détruira Ton temple. A sa place surgira un nouvel édifice: une terrible Tour de Babel [...] Jamais, jamais, les hommes ne parviendront à se nourrir sans nous! Aucune science ne leur donnera du pain aussi longtemps qu'ils resteront libres et ils finiront par déposer leur liberté à nos pieds pour nous dire: "Soumettez-nous à votre joug, mais nourrissez-nous." Ils comprendront enfin que la liberté et le pain terrestre pour tout le monde son incompatibles, car jamais, jamais, ils ne sauront se répartir le pain entre eux." En fait, le Grand Inquisiteur se révèle être un matérialiste  et là est son secret, dit Dostoïevski.


     

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    Les origines de la culture 1) Qui est René Girard?

     

     

     

    1) Pourquoi cette série d'articles?

     

     

     

    mythologiegrecque.com.sitew.com/Les Dieux: arès

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture". Celui-ci est le premier. Il commence donc par une présentation de René Girard.


    lienswikipedia.org -Mimétisme comportemental


    2) Qui est René Girard?


    René Noël Théophile Girard, né à Avignon (Vaucluse) le 25 décembre 1923, est un philosophe français, membre de l'Académie française depuis 2005. Ancien élève de l'École des chartes et professeur émérite de littérature comparée à l'université Stanford et à l'Université Duke aux États-Unis, il est l’inventeur de la théorie mimétique qui, à partir de la découverte du caractère mimétique du désir, a jeté les bases d’une nouvelle anthropologie Il se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux. Nous essaierons d'approfondir sa pensée à travers une de ses dernières oeuvres Les-origines de la culture.

     

    - Les livres de René Girard: 

     

     

     

     

     

    liens: wikipedia.org -René Girard                complexe d'Œdipe

    rene-girard.fr -Association recherches mimétiques: séminaires et colloques

    wikipedia.org -Portail:Mythologie grecque

    mythologiegrecque.com.sitew.com -Les dieux, carte d'identité

    wikipedia.org -Paganisme

     

     

    3) les origines de la culture.



    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    a) Première approche avec un texte de skanderkali

     

     

     

     

    "Les origines de la culture" de René Girard : Au commencement était le meurtre…

     

    « L’homme se différencie des autres animaux en ce qu’il est le plus porté à imiter »

    (Aristote, « Poétique »)

    girardCette citation pourrait peut-être résumer (très partiellement) l’œuvre essentielle de Réné Girard, anthropologue religieux (auteur de « La Violence et le Sacré », ouvrage indispensable mais de lecture assez ardue) et critique littéraire de haute volée (avec le classique des études de lettres « Mensonge romantique et vérité romanesque »).

     

    La théorie dite « mimétique » de Girard s’appuie sur deux notions clés complémentaires l’une de l’autre : le désir mimétique et sa conséquence violente, le mécanisme sacrificiel du bouc émissaire.

     

    Qu’est-ce que le désir mimétique ? C’est le constat que notre désir naît toujours de l’imitation du désir d’un autre pris pour modèle. Autrement dit, on ne désire pas seul et pas spontanément. On désire ce que les autres désirent, ce que les autres possèdent, ce que les autres pourraient désirer. Même refuser ou refouler un désir (est-ce possible ?) introduit les autres au cœur de notre non-choix : par exemple, on repousse un objet potentiel de désir parce que justement… personne n’en voudrait. Même les phénomènes d’abstinence comme l’anorexie introduisent l’omniprésence des phénomènes d’imitation (Girard a traité ce problème dans "Anorexie et désir mimétique").

    Bref, explicitement ou implicitement, les autres hantent nos désirs et leurs objets. D’ailleurs, on ne désire pas : on mime un désir.

     

    La somme sociale de ces désirs mimétiques mène à la rivalité, à une forme de « course aux armements » qui vise des objets de désir désirés par d’autres (Girard parle de « mimesis d’appropriation »). Le conflit violent, voire apocalyptique, est l’horizon du désir : c’est la crise mimétique où chacun devient le rival mortel de l’autre.

    Comment résoudre cette crise ?

    Par le bouc émissaire.

     

    Girard constate que les sociétés primitives qui ont survécu à l’autodestruction et à la violence collective ont su contrôler les rivalités en réorientant leur violence sur un bouc émissaire sacrificiel humain jugé responsable du chaos communautaire.

    La vie collective doit donc son salut à un meurtre originel caché sur lequel se fonde les rituels et les mythes fondateurs (par exemple, Girard voit en Œdipe un innocent transformé injustement en coupable pour servir de victime émissaire).

    Le meurtre planifié d’un bouc émissaire à chaque crise sociale devient une structure fondamentale de la pensée collective, une religion, une norme, une symbolique, un langage, une esthétique,  en un mot : une culture. La culture d’un groupe qui partage une culpabilité commune : celle d’avoir tué des innocents pour assurer sa survie ou son équilibre.

    Mais justement, ces crimes ne sont pas parfaits : les textes religieux et la littérature gardent la trace de ces meurtres premiers, de ces rivalités destructrices. Ils révèlent nos mécanismes mimétiques les plus intimes (que Girard a brillamment découvert chez Proust, Cervantès, Dostoïevski, Shakespeare…) ou nous rappèlent l’innocence du Bouc émissaire, notamment dans les Evangiles.

     

    Car, précisons-le, Réné Girard est un chrétien fervent.

    Il considère que la Révélation chrétienne nous dévoile des mécanismes mimétiques et sacrificiels « cachés depuis la fondation du monde ».

    Son travail extrêmement profond, érudit et parfaitement cohérent est trop puissant pour être traité et critiqué à la légère. Affirmons sobrement que son analyse passionnante est suffisamment tolérante et bienveillante pour être lisible par des laïcs athées.

    D’ailleurs, il ne s’agit pas d’être pour ou contre Girard.

    Il s’agit de le lire très attentivement, d’apprendre grâce à lui et d’aborder différemment des oeuvres qui dissimulent le meurtre de l’innocence.

    La culture ne serait pas donc une momie aseptisée et abstraite pour intellos distingués mais… une vaste enquête créative qui ne cesserait de trouver des cadavres sanglants dans les placards.

     

    Nota Bene : ce texte s’appuie sur la lecture de « Les origines de la culture » (paru en poche, chez Hachette Littératures, collection Pluriel). Cet ouvrage comprend des entretiens avec René Girard, une réponse assez pédagogique à Régis Debray intitulé « Les moyens du bord » ainsi qu’une excellente préface très éclairante. Ce livre constitue une très bonne introduction à « La Violence et le Sacré », essai plus difficile à lire.

    A noter également, un DVD (chez Montparnasse éditions) remarquable sous forme de long entretien avec Girard.

     

    b) approche avec franceculture.fr -Les origines de la culture

     

    Avec deux hypothèses, l’une sur le désir mimétique, l’autre sur les victimes fondatrices, René Girard a bouleversé le champ des sciences humaines. Sa théorie, qui a replacé le christianisme au cœur de l’anthropologie, est aussi l’une des rares, depuis Durkheim, à tenter d’expliquer les phénomènes culturels et sociaux en remontant à leur origine. Au point que c’est de la ritualisation des premiers événements que seraient nés les groupes sociaux et les mécanismes qui les protègent : tabous, normes, institutions. Mais seul le sacrifice du Christ, affirme René Girard, dévoile ceux qui auraient eu lieu au départ des religions et des cultures archaïques.
    Répondant aux questions de Pierpaolo Antonello et de João Cezar de Castro Rocha, l’auteur de La Violence et le Sacré éclaire la nature de son entreprise. Il revient pour cela sur les grandes étapes de sa vie et de sa carrière, évoque la réception de son œuvre en France et dans le monde, et ses chantiers en cours. Face aux critiques qu’on n’a pas manqué de lui faire, mais aussi aux questions brûlantes de l’actualité, il formule différemment ses thèses (un darwinisme revisité) et propose des analyses inédites : des pages sur l’Inde védique ou d’autres, plus polémiques, contre Régis Debray et ce qu’il est convenu d’appeler le «retour du religieux».
    Cette autobiographie intellectuelle apporte un éclairage singulier sur l’une des pensées les plus stimulantes de notre époque. L’itinéraire de ce chercheur totalement indépendant apparaît, de fait, exemplaire. En restant à l’écart des écoles de pensées, des modes académiques, voire des compromis institutionnels, René Girard a su se ménager un surprenant espace de liberté. Le prouvent le nombre et la qualité des recherches interdisciplinaires que cette œuvre suscite : autant de prismes nécessaires pour penser l’origine.


    liens: skanderkali.com -Les origines de la culture" de René Girard : Au commencement était le meurtre…

    verel.typepad.fr -Les origines de la culture

    wikipedia.org -Culture

     

     

    "Ma lecture" du livre débutera par le prochain article: "Une longue argumentation du début jusqu'à la fin".

    mythologiegrecque.com.sitew.com -Les_Dieux_Carte_d_identite

     

     





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